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Secret des affaires : les contours se dessinent

Par Thierry Lautier, associé, et Christophe Arfan, avocat, cabinet Reed Smith LLP.

La loi sur le secret des affaires est entrée en vigueur il y a trois ans. Dans cette matière, la question centrale est celle de la définition du secret des affaires – et donc des informations qui peuvent être protégées. Plusieurs décisions récentes du tribunal judiciaire de Paris aident à y voir plus clair.

Plus large que la propriété intellectuelle, mais plus strict que la confidentialité, le secret des affaires protège toute information qui remplit trois critères : elle est secrète, a une valeur commerciale du fait de son caractère secret et est protégée de façon raisonnable par son détenteur. Ce régime, issu de la directive (UE) n° 2016/943, a été transposé en France par la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 et le décret n° 2018-1126 du 11 décembre 2018. Les intérêts sont multiples : valoriser son patrimoine informationnel, empêcher ou faire cesser l’utilisation frauduleuse d’informations sensible, ou encore contrôler la production de preuves lors d’un procès.

Comme pour tout nouveau régime, les premières décisions étaient attendues, notamment pour mieux comprendre ce qui relève ou non du secret des affaires. C’est dans le cadre d’instances en contrefaçon, après la saisie de documents dans les locaux d’une société, que la jurisprudence est venue utilement préciser la notion de secret des affaires. Dans ce type de litige, le but pour la société saisie est d’obtenir que la communication des documents saisis soit limitée (par exemple, à une version expurgée et/ou à un nombre limité de personnes, que l’on appelle « cercle de confidentialité »).

Ainsi, il a pu être jugé que des contrats portant sur des brevets1 et une liste de clients identifiés nominativement2 sont éligibles au secret des affaires dès lors que leur protection est démontrée. À l’inverse, il a été admis que des brochures de produits, disponibles sur un présentoir à l’entrée du siège social d’une société3, et un plan, accroché au mur dans les locaux d’une société4, n’ont pas été protégés de façon raisonnable.

Entre ces extrêmes, la tendance est à une appréciation in concreto. Ainsi, dans une affaire récente, le tribunal a considéré que des documents (guides d’utilisateur et présentation interne d’une solution logicielle) ne relevaient pas du secret des affaires, car ils « ont été aisément accessibles sur Internet [sur une plateforme de téléchargement], pendant plusieurs années, démontrant l’absence de mesures de protection raisonnables pour en conserver le caractère secret, compte tenu des circonstances, qui tiennent aux moyens élevés dont disposent les [détenteurs de ces documents] »5.

Si ces décisions précisent les contours du secret des affaires, elles ont aussi le mérite de rappeler la nécessité de protéger ses secrets de façon efficace et adaptée à ses moyens. La protection mise en œuvre par une PME ne sera sans doute pas appréciée avec la même sévérité que celle d’un grand groupe international, pour qui le fait de négliger la présence de documents sur Internet peut s’avérer rédhibitoire (le simple fait de marquer un document « confidentiel » pouvant être insuffisant).

Dans chaque cas, pour bénéficier de ce régime, c’est au détenteur des informations de prouver qu’elles relèvent bien du secret des affaires… ce qui peut être difficile. Il importe donc de se ménager en amont des preuves de la protection effective de ses informations. Malheureusement, les décisions rendues donnent peu d’indications sur les preuves acceptées, puisque celles-ci sont généralement incluses dans un mémoire destiné au seul juge. Il convient donc d’être créatif. 

Notes

1. TJ Paris, 27 mai 2021, Wsou c. Huawei, 20/04019.

2. TJ Paris, 4 juin 2020, Fapagau et al. c. Envases, 20/01390.

3. TJ Paris, 25 octobre 2019, Lidl c. Vorwerk, 19/07498.

4. TJ Paris, 25 juillet 2019, Myopower c. Implantica, 19/06252.

5. TJ Paris, 6 mai 2021, Assia c. Orange et al., 20/07066 (nous étions les conseils de la société Assia).

Reed Smith LLP Thierry Lautier Christophe Arfan