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Say on climate : de l’exception à la norme ?

Par Eole Rapone et Juliane Dessard Jacques, associés, cabinet Emeriane Avocats

Source de débats juridiques, voire d’affrontements entre conseil d’administration et actionnaires de sociétés cotées, le say on climate est passé de l’ombre à la lumière en moins de trois ans en France. À mesure qu’il se généralise, l’attention portée aux enjeux climatiques va-t-elle progressivement s’étendre à d’autres sujets de « durabilité » ?

Le say on climate se définit comme un vote des actionnaires sur une résolution mise à l’ordre du jour d’une assemblée générale, à l’initiative du conseil d’administration (CA) ou d’actionnaires, portant sur la stratégie climatique de cette société. En pratique, en l’absence de cadre légal ou réglementaire spécifique à ce jour, ces résolutions sont protéiformes et leurs ambitions variables d’une société à l’autre. La pratique du say on climate a émergé en France en 2020 à l’initiative d’actionnaires ayant sollicité auprès de deux émetteurs l’inscription d’une résolution climatique à l’ordre du jour de leur assemblée générale. Face à cette demande, l’un deux en a rejeté l’inscription estimant qu’elle empiétait sur les pouvoirs du CA.

Manifestation de l’émergence de l’entreprise durable

Depuis 2021, la progression du say on climate dans le paysage français s’est faite à l’initiative des CA (une dizaine d’émetteurs en 2022 et en 2023) qui soumettent volontairement, dans le cadre du dialogue actionnarial (récemment encouragé par l’Autorité des marchés financiers (AMF) en vue de l’application de la directive sur le reporting de durabilité (CSRD)1), la stratégie climatique de la société au vote facultatif des actionnaires. Cette proactivité est également l’occasion pour ces émetteurs d’affirmer la compétence du CA en la matière. Les quelques cas dans lesquels les actionnaires ont sollicité du CA l’inscription d’une résolution say on climate à l’ordre du jour ont eu un fort écho médiatique, révélant des appréciations divergentes quant à l’organe compétent (entre actionnaires et CA) pour initier cette inscription. Plusieurs articles du code de commerce couvrent les pouvoirs respectifs du CA2 et des actionnaires3, sans qu’une disposition particulière ne les coordonne clairement. À l’aune d’une jurisprudence ancienne interprétant ces textes4, quelques principes s’en sont dégagés, notamment le fait que les organes de la société anonyme sont hiérarchisés, que la stratégie relève des prérogatives du CA sur lesquelles l’assemblée ne peut pas empiéter, mais des aménagements statutaires des modalités d’administration et de direction sont toutefois possibles dans une certaine limite. L’appréciation de cette limite et la fixation du point d’équilibre des prérogatives entre les deux est au coeur du débat sur le say on climate.

Premières orientations d’un cadre en construction

La soft law s’empare du sujet avec des publications récentes invitant à son encadrement : d’une simple présentation de la stratégie climatique à l’assemblée tous les trois ans5 (ou tous les ans) sous la forme d’un point à l’ordre du jour avec débat6, à des positions plus ambitieuses appelant à sa généralisation7. Des pistes sont également avancées pour offrir aux actionnaires des moyens de recours adaptés lors d’un rejet d’inscription à l’ordre du jour par le CA de leur projet de résolution (rôle d’arbitre de l’AMF, procédure accélérée au fond, inscription automatique à charge pour le CA de la contester par la suite, etc.). Les exigences de la CSRD, allant au-delà de la question du climat, interrogent sur le possible développement d’un say on durabilité dans les prochaines années dans un contexte d’émergence d’un droit des affaires durable. L’adjonction de la biodiversité dans la résolution say on climate d’un émetteur pourrait en constituer un premier indice.