Sanctions internationales : effets du gel des avoirs sur l’exécution des décisions de justice
Le 11 novembre 20212, la CJUE a jugé qu’aucune mesure conservatoire ne pouvait être diligentée sur des avoirs iraniens gelés, sans une autorisation préalable de l’autorité compétente. Dans un arrêt du 29 avril 20223, la Cour de cassation en a tiré les conséquences en précisant, d’une part, que la prescription des intérêts est suspendue pendant toute la durée de la mesure de gel et, d’autre part, que le débiteur soumis à une mesure de gel peut être exonéré de la majoration des intérêts de retard.
Dans cette affaire, un différend est né relativement à l’exécution d’un arrêt condamnant la banque iranienne Sepah à payer diverses sommes aux sociétés américaines Overseas et Oak Tree. Cette condamnation est intervenue alors que tous les avoirs de la banque Sepah étaient gelés. La demande des créancières visant au déblocage partiel des avoirs de la banque Sepah a été rejetée par décision implicite du ministre de l’Économie et des Finances. Le 23 janvier 20164, à la suite de l’accord sur le nucléaire iranien, dit Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA), la banque Sepah a recouvré la libre disposition des avoirs qu’elle détenait dans l’Union européenne. En juillet 2016, les sociétés créancières ont fait pratiquer différentes saisies au préjudice de la banque Sepah. Cette dernière a contesté ces saisies, soutenant qu’elle n’était pas redevable des intérêts de retard car le gel des avoirs constituait un cas de force majeure entraînant la suspension des intérêts. Par arrêt du 8 mars 2018, la cour d’appel de Paris a écarté l’argument tiré de la force majeure, au motif que la mesure de gel étant une « sanction », la banque Sepah était mal fondée à invoquer l’existence d’une cause étrangère exonératoire. Toutefois, la Cour a jugé qu’une partie des intérêts étaient prescrits, après avoir constaté l’absence de mesures d’exécution diligentées sur les avoirs gelés, ne serait-ce qu’à titre conservatoire. Par arrêt du 10 juillet 20205, la Cour de cassation a confirmé que le débiteur dont les avoirs sont gelés ne peut invoquer la force majeure pour se soustraire au paiement d’intérêts de retard. Elle a également saisi la CJUE pour trancher la question de la validité des mesures conservatoires sur les avoirs gelés. Le 11 novembre 2021, répondant aux questions préjudicielles qui lui étaient renvoyées, la CJUE a dit pour droit qu’aucune sûreté judiciaire ni aucune saisie conservatoire ne peuvent être diligentées sur des avoirs gelés, sans autorisation préalable de l’autorité compétente. La Cour de cassation en a tiré les conséquences en précisant les incidences du gel des avoirs sur (1.) la prescription des intérêts et (2.) la majoration du taux d’intérêt légal.
1. La prescription des intérêts est suspendue pendant toute la durée de la mesure de gel
Il résulte de la combinaison des articles 22346 et 22447 du code civil que la prescription extinctive est suspendue contre le créancier détenteur d’un titre exécutoire qui, par suite d’un empêchement résultant de la loi, est dans l’impossibilité de diligenter une mesure conservatoire ou un acte d’exécution forcée. Tirant les conséquences de l’impossibilité pour les créanciers de diligenter des mesures conservatoires sur des avoirs gelés, la Cour de cassation conclut que la prescription extinctive est suspendue pendant toute la durée de la mesure de gel, lorsque les conditions dans lesquelles l’autorité française compétente pour autoriser le déblocage des fonds ne sont pas réunies, ou que celle-ci a refusé de les débloquer.
2. Exonération de la majoration des intérêts de retard
L’article L. 313-3 du code monétaire et financier (CMF) prévoit que le juge de l’exécution peut exonérer un débiteur d’une condamnation judiciaire de la majoration de cinq points du taux de l’intérêt légal prévue par cet article, à la demande du débiteur et « en considération de la situation de celui-ci ». Tranchant une question débattue en doctrine8, la Cour de cassation a décidé que cette majoration des intérêts a pour finalité d’inciter le débiteur à exécuter la décision le condamnant sans tarder, et que, par conséquent, toute circonstance indépendante de la volonté du débiteur de nature à faire obstacle à l’exécution d’une condamnation judiciaire relève de la « situation » du débiteur au sens de l’article précité. Est donc cassé, au visa de l’article L. 313-3 du CMF, l’arrêt qui avait refusé de tenir compte de l’indisponibilité des avoirs de la banque Sepah résultant de la mesure de gel pour l’exonérer ou moduler la majoration des intérêts dus par celle-ci.