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Revirement jurisprudentiel en matière d’abus de confiance

Par Par Fabien Ganivet, associé, cabinet DLA Piper

La chambre criminelle de la Cour de cassation a opéré le 13 mars 2024 un revirement notable de sa jurisprudence en matière d’abus de confiance : les biens immobiliers font désormais pleinement partie du champ d’application de cette infraction.

Pour rappel, le code pénal, dans son troisième livre consacré aux atteintes aux biens, incrimine un certain nombre de comportements au titre des appropriations frauduleuses (vol, escroquerie, extorsion…). Réprimé par les articles 314-1 et s., l’abus de confiance est caractérisé lorsqu’une personne détourne, « au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé ».

Autrement dit, cette infraction punit celui qui détourne un bien qui lui a été remis volontairement et à titre précaire, situation qui s’apprécie par exemple à travers le refus de le rendre, l’omission de le représenter à tout moment ou au moment convenu entre les parties, ou le non-respect par la personne à qui le bien avait été confié de l’usage initialement prévu. Si la jurisprudence et la doctrine ont eu l’occasion de développer à de nombreuses reprises les conditions qui devaient être réunies à cet égard, ce qui intéresse particulièrement dans l’arrêt récemment rendu est la « qualité » du bien susceptible de faire l’objet d’un détournement frauduleux.

La propriété immobilière bénéficiant de garanties autonomes, et souvent plus robustes, en matière de transmission et, le cas échéant, de récupération d’un bien (publicité foncière, procédure d’expulsion…), il était traditionnellement considéré que les immeubles ne sauraient être assimilés à un « bien quelconque » tel que visé à l’article 314-1 et qu’ils devaient être exclus du périmètre de la qualification d’abus de confiance, laquelle avait d’abord vocation à protéger les biens « meubles » (fussent-ils d’ailleurs des biens incorporels ou immatériels). L’arrêt souvent cité en la matière est celui rendu par la chambre criminelle le 10 octobre 2001, énonçant clairement que « l’abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, des valeurs, ou un bien quelconque, à l’exclusion d’un immeuble » (crim., 10 octobre 2001, n° 00-87.605).

En affirmant que l’abus de confiance peut désormais porter « sur un bien quelconque en ce compris un immeuble », l’arrêt rendu le 13 mars 2024 est d’autant plus remarquable que la Haute juridiction rompt avec la position qui avait été jusqu’ici la sienne, non pas à travers l’une de ces formules ciselées qui, parfois, font le délice des juristes et laissent entrevoir davantage un ajustement qu’un véritable revirement de la jurisprudence, mais de manière claire et assumée : la Cour reconnaît sans ambages les limites de la position classiquement adoptée, en soulignant que cette jurisprudence « a suscité des controverses doctrinales qui justifient un nouvel examen ».

Dans un exercice de transparence et de pédagogie qui mérite d’être souligné, l’arrêt relève d’abord que de l’analyse des travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption du nouveau code pénal, il ressort que « la notion de bien quelconque, participant à la définition de l›objet de la remise […] doit s’entendre de tout bien, meuble ou immeuble. » Il rappelle ensuite que s’agissant de certaines appropriations frauduleuses autres que l’abus de confiance, la Cour de cassation a déjà fait évoluer sa position en incorporant désormais les biens immobiliers notamment en matière d’escroquerie (crim., 28 septembre 2016, n° 15-84.485). Enfin, il semble prendre acte de ce qu’il n’y avait aucune justification solide à considérer que « l’acte de détournement, constitutif de l’infraction d’abus de confiance » devait se limiter aux biens mobiliers alors qu’un tel détournement « peut résulter d’une utilisation du bien à des fins étrangères à celles qui avaient été convenues, lorsque cet usage implique la volonté du possesseur de se comporter, même momentanément, comme le propriétaire du bien ».

D’une certaine manière, cet arrêt apparaît à la fois logique et paradoxal. Logique, car il s’inscrit dans le sillage de l’évolution de la loi et de la jurisprudence qui ont tendance à sanctionner de plus en plus largement les atteintes aux biens, de quelle nature qu’ils soient. Paradoxal, en ce qu’il justifie ce revirement de jurisprudence via notamment une forme de « retour aux sources », à savoir l’analyse des travaux parlementaires et de l’intention initiale du législateur. 

F. Ganivet