Remises négociées sur le prix des médicaments et définition du chiffre d’affaires des laboratoires
Retour sur la première application de la jurisprudence Boehringer de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) par une cour administrative d’appel (CAA) dans un arrêt du 28 janvier 2020 de la CAA de Versailles, en faveur du laboratoire Novartis1.
Les laboratoires estiment à bon droit que les reversements de chiffre d’affaires qu’ils consentent à l’assurance maladie sous forme de « remises conventionnelles » négociées avec le Comité économique des produits de santé2, doivent être déduits de leur chiffre d’affaires imposable.
Cette réalité économique a été consacrée en matière de TVA par la CAA de Versailles.
La CJUE s’était prononcée, dans un arrêt Boehringer du 20 décembre 20173, en faveur de la déductibilité du chiffre d’affaires des laboratoires des remises versées aux assurances maladie privées allemandes (les remises versées à l’assurance maladie publique étaient déjà déductibles selon la loi). Cette solution est transposable au système français. Pour autant, les administrations y opposent une résistance au prix d’une confusion sur la nature des « remises » initiée de longue date, jusqu’alors suivies par les juridictions françaises4.
Cette politique jurisprudentielle était dans l’air du temps – un air susceptible, toutefois, de provoquer quelque malaise…
L’arrêt Boehringer avait suscité un espoir fort en invalidant ce raisonnement au nom des principes de neutralité de la TVA et d’égalité de traitement du droit de l’Union.
En 2018, le tribunal administratif de Montreuil avait franchi un premier pas en direction du revirement5. Toutefois, Bercy en avait profité pour développer de nouveaux arguments – parfois baroques !
Sans craindre de faire les frais du paradoxe, l’administration fiscale persiste dans sa position au motif d’une supposée distinction entre les systèmes d’assurance maladie allemand et français. Les deux fonctionnant en réalité de manière analogue, c’est ce qu’a fait valoir le laboratoire Novartis.
Par son arrêt du 28 janvier 2020, Novartis, la CAA de Versailles porte véritablement la jurisprudence Boehringer sur les fonts baptismaux. Reprenant explicitement Boehringer, la cour a écarté l’ensemble des arguments avancés jusqu’ici par l’administration fiscale française puisqu’elle juge qu’il est indifférent que les remises aient une origine légale ou conventionnelle ou qu’elles s’inscrivent dans le cadre de la régulation des dépenses de santé à titre de prétendues « sanctions », les caisses d’assurance maladie devant être regardées comme les consommatrices finales bénéficiant d’une réduction de prix par les « remises ».
En tout état de cause, c’est la première fois qu’une CAA se prononce en ce sens et il est permis de penser qu’il s’agit d’une nouvelle orientation de la juridiction administrative, comme en témoigne le code de publication retenu par la CAA, bien que le ministre de l’Action et des Comptes Publics ait formé un pourvoi en cassation.
Il est regrettable que la même réalité économique n’ait pas conduit la CAA à transposer son raisonnement en matière de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), dans un arrêt du même jour6. Sans craindre l’incohérence de sa position, la cour est demeurée dans le sillage de la jurisprudence du Conseil d’État précitée. Prétendant que la jurisprudence de la CJUE en matière de TVA ne serait pas transposable aux taxes sur le chiffre d’affaires situées en dehors du champ d’application du droit de l’Union européenne, le Conseil d’État maintient à ce jour le raisonnement invalidé par la CJUE pour la TVA et retient ainsi des définitions différentes du chiffre d’affaires d’une taxe à l’autre !
Gageons néanmoins que cette évolution contribuera à l’unification du contentieux sur la définition du chiffre d’affaires imposable des laboratoires, à l’occasion des deux pourvois formés sur ces arrêts, afin de restituer à la matière son harmonie…