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Quand allons-nous être remplacés par l’IA

Par Ian De Bondt, directeur associé, Fed Légal

Cette question, qui m’a été posée récemment par un jeune consultant de mon équipe, nous pousse, en tant que chasseur de têtes, à nous interroger sur notre valeur ajoutée, sur ce qui fait l’essence de notre métier. Le sourcing, la partie émergée de l’iceberg en danger

La première mission d’un recruteur est de sourcer des candidats, d’identifier les profils répondant au cahier des charges de son client. Pour tout bon cabinet de recrutement, cette partie-là est, depuis très longtemps, bien que chronophage, la plus simple. Le client final ne s’en rend pas forcément toujours compte mais nous rencontrons et échangeons, à l’oral comme à l’écrit, avec plusieurs dizaines de candidats chaque jour. Si vous multipliez cela par le nombre de consultants d’un cabinet comme Fed Légal (15) qui existe depuis 13 ans, vous avez un volume de candidats gigantesque. Le sourcing ne consiste ensuite qu’à organiser et à mettre à jour cette multitude de profils. Un bon ATS (Applicant Tracking System) et un travail de suivi sérieux suffisent à répondre à cette exigence fastidieuse mais à faible valeur ajoutée. Les as du sourcing ou autres talent acquisition pousseront des cris d’orfraie mais à mon sens, cet aspect technique de notre métier explosera au contact de l’IA.

L’intelligence artificielle, la grande faucheuse pour certains, un outil pour d’autres

L’émergence de ChatGPT, ses développements à venir et l’arrivée de concurrents vont bouleverser le monde du travail. Le secteur du recrutement ne fera pas exception. Comme à chaque révolution technologique, survivront ceux qui auront suffisamment réfléchi à leur offre de valeur et qui parviendront à transformer la menace en outil de productivité. De même que l’aspirateur n’a pas tué la femme de ménage, ni la tondeuse le coiffeur, l’intelligence artificielle ne balaiera pas tout sur son passage. Les recruteurs vont devoir se distinguer en humanisant leur approche. Fini les journées de dix heures, planté devant son ordinateur, quatre jours sur cinq en télétravail, à sourcer du candidat et à cocher des cases. Il va falloir redonner de la substance, de l’humain et du sens au métier. Faire vivre une communauté de candidats, susciter leur confiance en publiant du contenu, apporter une analyse pointue sortant des sentiers battus d’un marché spécifique. Parce que l’IA saura à coup sûr effectuer le travail de sourcing pur, les recruteurs qui se contenteront d’en arranger les contours sont morts. Ceux qui font un véritable travail de chasseur de têtes peuvent dormir sur leurs deux oreilles. ChatGPT n’est pas encore capable de créer du lien, d’apprécier les leviers de motivation d’un candidat, de le convaincre et d’analyser son comportement.

La chasse de têtes, avant tout un métier de conseil

J’ai toujours été persuadé que la valeur de notre offre dépendait très largement de notre capacité à fournir du conseil et de ce fait, à devenir un interlocuteur incontournable pour nos clients et nos candidats, pas seulement un pourvoyeur de CV. J’en veux pour preuve le nombre considérable de candidats que nous n’avons jamais placés et qui pourtant continuent de nous solliciter pour des conseils (rémunération, choix de cabinet, passage en entreprise, projet entrepreneurial, business plan, …). Et même si cela peut paraître contre-intuitif, c’est la même chose pour nos clients. Alors oui bien entendu, c’est mieux quand nous leur trouvons le bon candidat. Mais la considération qu’ils nous portent ne dépend pas uniquement de ce résultat. Ce qu’ils attendent, ce qu’ils sollicitent, ce qu’ils valorisent, c’est l’ensemble de nos discussions, de nos rencontres et de nos échanges. Cela peut concerner le modèle de rémunération des associés, le choix et l’organisation de leurs locaux, la concurrence, les grilles de rétrocessions des collaborateurs, des projets de rapprochements, l’image de leur structure, … En quoi sommes-nous légitimes à répondre à ce type de questions ? La réponse à cette interrogation réside justement dans notre approche, humaine, physique et spécialisée. Vous pouvez poser toutes les questions que vous voulez à une intelligence artificielle (j’ai testé), elle ne vous donnera jamais son avis sur un cabinet, ni ne vous communiquera précisément les grilles de rémunération de telle ou telle structure, ni ne vous conseillera quant à l’opportunité de tel ou tel choix en fonction de votre parcours et de vos aspirations, … L’IA reste factuelle et exécute parfaitement les commandes qu’on lui fait. Mais elle ne s’engage pas. Elle ne donne pas son avis. Elle refuse de s’exprimer sur ce qui n’est pas purement objectif. Or, c’est justement notre jugement, notre subjectivité et notre engagement personnel que viennent chercher nos clients et nos candidats. Alors vive l’IA pour ce qu’elle va nous apporter et vive le conseil !