Sauvons le conseiller auditeur de l’Autorité de la concurrence !
Par Thibault Reymond, avocat associé, Dethomas Peltier Juvigny & Associés
L’Autorité de la concurrence a publié son rapport annuel juste avant l’été. Parmi les sujets traités, le bilan du conseiller auditeur détonne. Aucune saisine n’est intervenue depuis 2014.
Le conseiller auditeur s’assure pourtant du « respect des droits des entreprises ». Comme il le souligne lui-même, on peut s’interroger sur les raisons de cette désaffection. Signe d’une absence de difficultés liées au déroulement de la procédure ou conséquence de l’étroitesse de son domaine d’action ?
En l’état, le conseiller auditeur ne peut recueillir les observations des parties sur le déroulement des procédures les concernant qu’à compter de la réception d’une notification des griefs et seulement pour des faits ou des actes intervenus à compter de l’ouverture de la procédure contradictoire. Autrement dit, il n’est pas compétent pour intervenir dans le cadre de la phase d’enquête qui peut durer plusieurs années avant l’envoi des griefs. En outre, le conseiller auditeur ne dispose pas de pouvoir. Il peut, tout au plus, proposer des mesures visant à améliorer l’exercice des droits de la défense.
Un rôle limité
Il suffit de lire la décision Brenntag, rendue par l’Autorité fin 2017, pour se convaincre que le rôle limité du conseiller auditeur n’est pas à la hauteur des enjeux d’une procédure devant l’Autorité.
Dans cette affaire, l’Autorité a condamné cette entreprise à une amende de 30 millions d’euros pour avoir fourni des informations incomplètes et hors-délais en réponse à une demande de renseignements des enquêteurs, puis refusé de communiquer de nouvelles informations, faisant ainsi obstacle à l’instruction. Tout ceci s’est passé avant l’envoi des griefs, hors de toute portée d’une intervention du conseiller auditeur. Si la nécessité de sanctionner des faits d’obstruction avérés ne peut être contestée, on ne peut que regretter le défaut de compétence du conseiller auditeur pour intervenir et aplanir de telles difficultés entre une entreprises et les enquêteurs.
Si le conseiller auditeur pouvait, à l’instar de ses homologues de la Commission européenne, être saisi par les entreprises dès le début de l’instruction et adopter les décisions contraignantes qui s’imposent, nul doute que son activité serait décuplée et les droits de la défense renforcés, le tout dans un esprit de coopération loyale au stade de l’enquête.
Renforcer ses pouvoirs et son domaine d’action
Les nouvelles compétences susceptibles de lui être attribuées pourraient notamment concerner les demandes de renseignements adressées par les enquêteurs (contrôle de la proportionnalité des demandes au regard de l’objet de l’enquête, octroi de délais supplémentaires aux entreprises), le déroulé des auditions (respect du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination) et les sujets de confidentialité des correspondances d’avocats et de secrets d’affaires des entreprises.
De plus, sa présence systématique aux séances de l’Autorité au cours desquelles le collège entend les services d’instruction et les représentants des entreprises, offrirait une aide précieuse, notamment en cas de difficultés portant sur le respect du principe du contradictoire.
Il est certain que l’acceptabilité de l’action accomplie par l’Autorité qui compte parmi les plus actives et respectées de l’Union européenne, serait confortée par le renforcement des pouvoirs et du domaine d’action du conseiller auditeur.
Une telle évolution parait d’ailleurs indispensable pour garantir la crédibilité et, à plus long terme, le maintien de cette fonction. Tel est l’enjeu d’une réforme que nous appelons de nos vœux car chacun sait que si la disparition d’un acteur du marché peut nuire à la concurrence… celle d’un acteur de la procédure peut nuire à l’équité.