Quand Spider-Man s’invite dans l’industrie du droit
Les cabinets d’avocats et les directions juridiques découvrent les méthodologies issues du design thinking, ce processus d’innovation collaboratif et par étapes développé par l’université de Stanford dans les années 1960.
Fondées notamment sur la visualisation et le pouvoir de l’image, ces techniques offrent des possibilités infinies : améliorer la gestion de projets juridiques complexes ; mieux comprendre et résoudre les problèmes juridiques auxquels font face entreprises et cabinets ; optimiser les structures et l’organisation d’équipes pluridisciplinaires ; simplifier des actes juridiques complexes sans en dénaturer le sens, etc… Cependant, il est parfois malaisé de convertir un juriste aux vertus du legal design, cette branche du design thinking appliquée au droit… « Fumeux ». « Rien de plus qu’un gadget ». « Magma ésotérique »… S’appuyer sur des exemples convaincants est donc, souvent, une étape nécessaire. À cet égard, l’utilisation inconsciente du design thinking par la bande dessinée américaine depuis plus de 50 ans est particulièrement éclairante.
Marvel Comics, à qui l’on doit les aventures de Spider-Man, des X-Men et de centaines de super-héros, règne sur l’industrie des comic books depuis le milieu des années 1960. En dépit d’une faillite retentissante en 1996 et de nombreuses crises, la « Maison des Idées » est parvenue à rester au sommet. Pourquoi ? Parce qu’elle a littéralement révolutionné la manière dont les comics sont produits. Traditionnellement, la création d’une bande-dessinée s’appuie sur une approche simple en deux étapes. Le scénariste commence par rédiger une histoire complète : descriptions et dialogues sont détaillés vignette par vignette. Puis le dessinateur prend le relais et, en respectant ces instructions à la lettre, donne vie à cette histoire. Ce processus – qui est celui de la bande-dessinée franco-belge – est souvent décrit comme la méthode du « script complet » (full script). Mais au début des années soixante, deux des pères fondateurs de Marvel, Stan Lee et Jack Kirby, remirent en question cette méthode, jugée trop contraignante et statique. Ils développèrent ensemble un nouveau paradigme, la méthode dite du synopsis (plot script), depuis rebaptisée la « Méthode Marvel ». De quoi s’agit-il ? Dans un premier temps, le scénariste se contente de rédiger un synopsis. Le dessinateur se charge ensuite de traduire visuellement ces indications générales. Ces dessins sont enfin renvoyés au scénariste qui y rajoute dialogues et didascalies mais uniquement dans la mesure où cela s’avère nécessaire pour guider le lecteur. Cette méthode fut un succès immédiat. Les histoires de Marvel étaient « plus visuelles et moins verbeuses » que celles de ses concurrents. Les dessinateurs se sentaient plus libres. Les scénaristes produisaient quant à eux bien plus d’histoires qu’auparavant. Jusqu’à aujourd’hui, de très nombreux artistes, chez Marvel comme dans d’autres maisons d’édition, ont recours à la Méthode Marvel.
En quoi cette méthode est-elle pertinente pour un juriste ? Elle l’est à double titre. Elle illustre d’abord avec force le pouvoir de la visualisation. Certes, rendre un document juridique plus frappant visuellement est souvent une gageure. Mais un tel effort permet, par exemple, de décrire avec plus de clarté ce qu’un contrat mettra parfois de nombreuses pages à expliquer. Elle révèle également de manière très éloquente la nature même du design thinking, ce processus de développement collaboratif, responsabilisant et qui aboutit à un résultat « co-construit » centré sur les attentes du client.
La Méthode Marvel est applicable à notre industrie : considérons nos clients comme autant de scénaristes et tâchons, nous juristes, d’agir en dessinateurs du droit.