La France, nouvel eldorado du secret des affaires ?
La plupart des Etats membres de l’UE ont transposé a minima l’article 9 de la Directive (UE) 2016/943 du 8 juin 2016, dite « secret d’affaires », qui imposait de veiller à protéger un secret seulement lors d’une instance relative à une atteinte à ce secret. C’est le cas du Royaume-Uni, de l’Italie, de l’Espagne, de l’Irlande, du Danemark et de la Finlande. En Allemagne, le projet de loi va dans le même sens.
De nouvelles opportunités contentieuses…
Par la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 (et son décret n° 2018-1126 du 11 décembre 2018), la France, elle, a choisi d’étendre la protection du secret des affaires à toute instance civile ou commerciale, « dans un objectif de simplicité et d’harmonisation des procédures »(1). S’il est fait état ou s’il est demandé la communication ou la production d’une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu’elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut aménager les conditions dans lesquelles la pièce sera versée aux débats. En particulier, il peut examiner seul la pièce, solliciter l’avis des conseils des parties, puis décider d’en limiter le contenu et/ou d’en restreindre l’accès(2).
Ce nouveau dispositif pourrait favoriser l’obtention de pièces utiles à la solution d’un litige, moyennant un simple aménagement de certaines modalités. Partant, il pourrait ouvrir de nouvelles opportunités, en particulier dans des litiges où les informations sont détenues par une seule des parties.
… par exemple, lors de négociations de licences FRAND ?
C’est le cas des litiges relatifs à des brevets essentiels à une norme, dits « SEPs » (standard essential patents), où se pose la question de savoir si une offre de licence est « FRAND » (fair, reasonable and non-discriminatory).
Dans l’arrêt Huawei c. ZTE, la CJUE a imposé aux détenteurs de SEPs d’adresser une offre de licence concrète et écrite à ceux qui souhaitent négocier, « en précisant, notamment, la redevance et ses modalités de calcul »(3). L’offre doit permettre à son bénéficiaire de comprendre en quoi elle est FRAND sur la base de « critères objectifs »(4). Les licences existantes sont un bon indicateur : l’acceptation par le marché (sous réserve qu’elle soit assez large) peut démontrer qu’une offre est FRAND. Toutefois, le titulaire des SEPs est souvent freiné par les clauses de confidentialité de ces contrats.
Dans plusieurs pays, cette difficulté a été à l’origine de délais (et de coûts) significatifs. Au Royaume-Uni, une demande de « club de confidentialité » a été rejetée comme incompatible avec le droit à un procès équitable(5). En Allemagne, il a été jugé que l’engagement FRAND pris par le titulaire de SEPs fait peser sur lui une obligation de transparence et lui impose de se justifier s’il entend s’opposer à la production des contrats existants(6).
En France, la Cour d’appel de Paris a déjà appliqué le nouveau régime, dans une affaire où le défendeur à la contrefaçon avait demandé la production de tous les contrats de licence du titulaire des brevets. Le CME a ordonné la communication de ces documents sous un mois, d’abord uniquement entre avocats, afin de recueillir leurs observations écrites, avant de décider si des mesures de protection du secret des affaires sont nécessaires(7).
Le nouveau régime français pourrait permettre de surmonter les obstacles procéduraux rencontrés dans d’autres pays et, dès lors, renforcer l’attractivité des juridictions françaises dans tous les cas impliquant la révélation de secrets des affaires.
Notes
(1) Rapport du Sénat n° 419 (2017-2018), page 46.
(2) Articles L. 153-1 et 2 et R. 153-2 à 9 du Code de commerce.
(3) CJUE, 16/07/2015, C-170/13, Huawei c. ZTE.
(4) LG Mannheim, 01/07/2016, Philips c. Archos, 7 O 209/15.
(5) High Court of Justice, 13/06/2018, TQ Delta c. Zyxel, HP-2017-000045.
(6) OLG Düsseldorf, 25/04/2018, I-2 W 8/18.
(7) CA Paris, Ord. CME, 09/10/2018, Core Wireless c. LG Electronics, RG 15/17037.