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Préjudice de contrefaçon : modalités pratiques de prise en compte des bénéfices du contrefacteur

Par Romain Lortat-Jacob, managing director, FTI Consulting.

La directive communautaire n° 2004/48CE relative au respect des droits de propriété intellectuelle, transposée dans la loi n° 2007-1544 et renforcée par la loi n° 2014-315, a créé un régime spécial pour l’indemnisation des victimes de contrefaçon1.

L’un des apports de la réforme réside dans la possibilité de fixer les dommages en prenant en considération non seulement les conséquences négatives pour la victime mais aussi les bénéfices du contrefacteur. Cet article revient sur les solutions apportées par la jurisprudence aux questions pratiques posées par cette faculté.

Peut-on réclamer à la fois les conséquences négatives pour la victime et les bénéfices
du contrefacteur ?

Ces deux critères ne sont pas cumulatifs mais complémentaires. Les tribunaux rappellent en effet que la réforme n’autorise pas un cumul mathématique mais permet la prise en considération de toutes les conséquences de la contrefaçon.2

Ce non-cumul ne s’applique toutefois pas au préjudice moral qui s’ajoute au préjudice principal.

La victime peut-elle réclamer uniquement les bénéfices du contrefacteur ?

En l’état de la jurisprudence, la réponse semble affirmative.

Dans une affaire de contrefaçon de brevet, la cour d’appel de Paris a refusé d’indemniser une victime qui n’exploitait pas son brevet et réclamait uniquement les bénéfices du contrefacteur.3 Cette décision a été censurée par la Cour de cassation qui a jugé que ce critère devait être pris en considération car l’existence d’un préjudice n’est pas subordonnée à l’exploitation du brevet.4 La cour de renvoi retiendra finalement cette approche, mais en appliquant un fort coefficient de pondération.5

Quelle référence de marge prendre en compte ?

La marge à considérer n’est pas précisée par la loi qui fait référence aux « bénéfices » du contrefacteur.

En pratique, les juges privilégient la marge sur coûts variables. Dans une décision récente, la cour d’appel de Paris indique ainsi que les coûts fixes n’ont pas à être déduits car ils auraient été encourus en l’absence de contrefaçon.6

On peut toutefois s’interroger sur la généralisation de cette solution, en particulier lorsque la contrefaçon constitue la seule activité du contrefacteur. Il est alors possible que les coûts fixes aient été spécifiquement engagés pour l’activité contrefaisante.

La victime peut-elle demander la restitution de la totalité des bénéfices du contrefacteur ?

Les tribunaux répondent généralement par la négative et appliquent un coefficient de pondération. La cour d’appel de Paris rappelle que la loi « exige la prise en considération par le juge des bénéfices réalisés par le contrefacteur sans ordonner leur confiscation et leur allocation au profit de la partie lésée, une part de ces bénéfices pouvant résulter non de la contrefaçon, mais des efforts propres du contrefacteur ».7 De même, la cour d’appel de Bordeaux note qu’une confiscation intégrale serait susceptible de créer un « effet d’aubaine ».8

Les critères retenus pour fixer le coefficient de pondération varient selon les espèces. Les juges citent par exemple la capacité d’exploitation du droit contrefait par la victime ou son poids dans la décision des consommateurs.

Il est néanmoins difficile d’extrapoler une règle générale car les tribunaux allouent parfois la totalité des bénéfices du contrefacteur, notamment lorsque la victime dispose de la capacité de production requise et que les produits contrefaits sont substituables.9

Conclusion

La faculté de considérer les bénéfices du contrefacteur est un outil puissant à disposition des titulaires de droits. Sa pleine exploitation ne peut cependant se faire sans tenir compte de la jurisprudence abondante qui en a précisé les contours pratiques. 

Notes

1. CA Paris, 6 juil. 2018, n° 17/07613.

2. CA Paris, 9 déc. 2016, n° 16/02891.

3. Cass. com., 23 janv. 2019, n° 16-28.322.

4. CA Paris, 11 mai 2021, n° 19/07127.

5. CA Paris, 11 mai 2021, n° 19/07127.

6. ibid.

7. ibid.

8. CA Bordeaux, 6 juin 2017, n° 16/04616.

9. CA Paris, 26 janv. 2016, n° 15/00320.