Pour une réforme des règles françaises relatives au remboursement des frais du procès en contrefaçon
Tant le droit processuel français que la pratique des juridictions en matière de remboursement des frais exposés dans le cadre du procès en contrefaçon peuvent être de nature à dissuader les titulaires de droits d’agir, lorsque la masse contrefaisante est faible, et/ou lorsque le préjudice subi n’est pas jugé suffisamment important au regard des frais à engager.
Aux termes des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, relatif à la répétition (remboursement) des frais du procès civil (incluant notamment les frais d’avocats et/ou de conseil en propriété industrielle), le juge condamne par principe la partie qui perd son procès à payer « à l’autre partie la somme qu’il détermine ».
Il est précisé que le juge tient compte « de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée », mais qu’il peut « même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à ces condamnations ». Cette grande liberté offerte au juge est en outre renforcée par la jurisprudence, puisque la Cour de cassation considère que le juge n’a même pas à motiver sa décision relative au remboursement des frais du procès.
Ainsi, le juge dispose d’une liberté totale pour octroyer, ou non, une somme à la partie victorieuse en ses prétentions. En matière de contentieux en contrefaçon de droits de propriété intellectuelle, le titulaire du droit auquel il a été porté atteinte ne peut jamais espérer obtenir le remboursement intégral des frais de conseil réellement exposés. Il ne peut pas plus anticiper précisément quelles sommes demeureront à sa charge en cas de victoire. À cet égard, il y a lieu de souligner que les pratiques des tribunaux compétents en matière de propriété intellectuelle sont différentes, ce qui renforce l’insécurité juridique à laquelle fait face le titulaire de droits. En pratique, de nombreux titulaires de droits de propriété intellectuelle renoncent à ester en justice, aux fins de faire sanctionner des actes contrefaisants, lorsque l’investissement en frais judiciaires est jugé trop important au regard du préjudice subi.
Il paraît donc nécessaire de procéder à une réforme permettant une protection effective des droits de propriété intellectuelle et supprimant l’entrave relative à la charge des frais de justice. Il s’agit en tout état de cause d’une exigence posée par le droit de l’Union européenne. En effet, aux termes de l’article 14 de la directive 2004/48/CE relative au respect des droits de propriété intellectuelle « les États membres veillent à ce que les frais de justice raisonnables et proportionnés et les autres frais exposés par la partie ayant obtenu gain de cause soient, en règle générale, supportés par la partie qui succombe, à moins que l’équité ne le permette pas ». À la lumière de cette disposition, il conviendrait à tout le moins que le juge français procède à une analyse des frais exposés dont il est sollicité le remboursement et rende une décision motivée à cet égard.
À défaut d’évolution en ce sens, il est à craindre que les titulaires de droits de propriété intellectuelle ne délaissent les juridictions françaises pour des systèmes de droit européens au sein desquels il existe une prévisibilité quant à la répétition des frais du procès. En Allemagne, par exemple, les émoluments des avocats font l’objet d’une tarification légale en fonction de l’enjeu du litige et la partie victorieuse obtient la condamnation de l’adversaire à rembourser les frais exposés suivant le barème applicable à l’enjeu du litige. Au Royaume-Uni, dans le cadre des litiges portés devant l’Intellectual Property Court (IPEC), la partie victorieuse peut obtenir la condamnation de l’autre partie à un remboursement des coûts allant jusqu’à 50 000 £. Devant la High Court, le demandeur victorieux peut espérer un remboursement d’environ 60 % des coûts réellement exposés, sans limite de montant.
Bien que différents, les systèmes anglais et allemand ont le mérite d’offrir prévisibilité et sécurité juridique s’agissant du remboursement des coûts du procès en contrefaçon. Une intervention du législateur français permettant d’offrir les mêmes garanties aux plaideurs français, afin d’assurer une protection juridictionnelle effective des droits de propriété intellectuelle, serait donc la bienvenue.