Connexion

Ordonnance relative à l’exercice en société des professions libérales règlementées : entre confirmations et incertitudes

Par Guillaume-Denis Faure, partner, et Paul L’Huillier, managing associate, cabinet Simmons & Simmons

L’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 relative à l’exercice en société des professions libérales règlementées1, attendue de longue date, vient clore une période de débats prolongés sur les orientations à donner aux sociétés d’exercice des professions règlementées, entre tenants d’une ligne maximaliste de la protection de l’indépendance des professionnels et défenseurs d’une modernisation de ces sociétés visant à favoriser leur financement. Et la plus grande surprise que nous réserve cette ordonnance est finalement de ne pas en contenir.

L’article 7 de la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante2, avait habilité le gouvernement à prendre par voie d’ordonnance toutes dispositions permettant de « clarifier, simplifier et mettre en cohérence les règles relatives » aux professions libérales règlementées et « faciliter le développement et le financement des structures d’exercice » de ces professions, « à l’exclusion de toute ouverture supplémentaire à des tiers extérieurs à ces professions du capital et des droits de vote ». À compter de cette habilitation, qui contenait en germe la difficulté inhérente à cette matière de concilier des intérêts potentiellement contradictoires, le gouvernement s’est lancé dans la tâche périlleuse que le législateur lui avait confiée. Les premiers mois d’élaboration du texte furent caractérisés par l’élaboration d’un premier projet qui, fortement influencé par certains organes de représentation professionnels du monde de la santé, contenait un certain nombre de restrictions nouvelles, alors considérées comme de véritables épouvantails par les groupes structurés du marché.

À travers une limitation de la détention d’actions de préférence et des possibilités de régulariser des situations de non-conformité capitalistiques, ce premier projet était ainsi susceptible de faire vaciller l’existence même de groupes structurés du marché et s’éloignait donc de l’objectif fixé par le Parlement de « faciliter le développement et le financement des structures d’exercice ». Après de vives réactions, un nouveau projet, qui circulait à l’automne 2022, revenait à plus d’orthodoxie, en supprimant notamment les mesures précitées. L’ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 allait finalement encore plus loin dans le conservatisme en livrant une version ressemblant quasiment à une codification à droit constant des règles mais aussi des pratiques en cours sur les différents marchés sur lesquels les professions règlementées exercent leur métier. Au rang des nouveautés, on notera en premier lieu la consécration de la notion de « professionnel exerçant » utilisée de longue date par les praticiens, qui revêt donc aujourd’hui une nature officielle. On notera ensuite l’introduction d’un contrôle annuel par les ordres professionnels de la composition du capital social, des droits de vote, des statuts et des accords extrastatutaires des sociétés d’exercice, qui n’existait par le passé qu’à l’occasion de modifications de ces éléments. Cependant, cette impression d’ensemble de statu quo ne doit pas faire oublier tous les sujets que l’ordonnance renvoie à des décrets, censés paraître avant la date d’entrée en vigueur de l’ordonnance, fixée au 1er septembre 2024. Sont ainsi concernés les catégories d’associés permis ou interdits dans les sociétés d’exercice libéral des professions de santé, le nombre de participations qu’une personne peut détenir dans ces sociétés et les limites applicables aux comptes courants d’associés, qui n’étaient assorties d’aucune sanction par le passé, mais dont le maintien dans les textes pourrait laisser augurer d’un durcissement. En résumé, les dix-huit mois nous séparant de l’entrée en vigueur de l’ordonnance laissent présager un nouvel affrontement en coulisses entre d’un côté, les partisans de la limitation de la financiarisation des professions règlementées, et de l’autre les investisseurs plus que jamais intéressés par ce marché qui, jusqu’à nouvel ordre, conserve toute son attractivité.