Objectifs alignés du TCE et de l’Accord de Paris
Le président Macron a annoncé le retrait de la France du traité sur la charte de l’énergie lors du sommet du Conseil européen à Bruxelles le 21 octobre 2022. Dans la foulée, le 1er décembre, le ministère français des Affaires européennes et étrangères a officiellement notifié le retrait de la France du TCE, qui doit prendre effet le 8 décembre 2023.
La veille de l’annonce du président Macron, le Haut conseil pour le climat français a rendu sa conclusion selon laquelle les objectifs du TCE sont incompatibles avec les ambitions de décarbonation de l’Accord de Paris. En effet, le TCE oblige la France à encourager et créer « des conditions stables, équitables, favorables et transparentes pour la réalisation d’investissements dans sa zone par les investisseurs des autres parties contractantes. Ces conditions comprennent l’engagement d’accorder, à tout instant, un traitement loyal et équitable aux investissements des investisseurs des autres parties contractantes ».1 Pour les investisseurs français opérant sur le territoire de l’une des 52 autres parties contractantes, ils bénéficient de la même protection. D’autre part, en vertu de l’accord de Paris, l’UE et ses États membres se sont engagés sur un objectif contraignant de réduction nationale nette d’au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 par rapport à 1990,2 un objectif qui ne peut pas être réalisable sans mettre fin à une partie de la production d’énergie des combustibles fossiles. Ainsi, l’incompatibilité présumée est la nécessité d’éliminer progressivement les investissements existants dans les combustibles fossiles tout en leur accordant un traitement « juste et équitable ».
Mais rien dans le TCE n’interdit une suppression progressive des investissements dans les combustibles fossiles d’une manière raisonnable et juste, une notion qui doit être interprétée au regard des obligations de droit international de la France en matière d’environnement et de lutte contre le changement climatique. En réalité, les objectifs du TCE sont alignés sur l’Accord de Paris : le TCE fait explicitement référence aux « obligations qui lui incombent en vertu des accords internationaux concernant l’environnement ». Il exige que les parties « tiennent compte des considérations environnementales lors de la formulation et de la mise en oeuvre de leurs politiques énergétiques » et « favorisent une formation des prix axée sur le marché et une meilleure prise en considération des coûts et des avantages environnementaux sur l’ensemble du cycle énergétique ». Il confirme également que les pollueurs devraient « supporter le coût de la pollution ».3 De plus, le Traité conserve le droit de chaque État souverain « de régir les aspects environnementaux et de sécurité » de toute exploration et production d’énergie.4
Dans les différends découlant de traités contenant des clauses similaires, les tribunaux ont accordé aux États une marge de discrétion pour adopter des politiques environnementales domestiques qui auraient des effets néfastes sur les investissements, et ils ont imposé une norme plus élevée aux demandeurs, les obligeant à démontrer que l’État a agi avec un mépris grossier ou flagrant pour les principes fondamentaux d’équité, de cohérence, d’impartialité, de régularité de la procédure ou de justice naturelle attendus par, et de, tous les États en vertu du droit international coutumier.5 On pourrait soutenir que la norme est encore plus élevée lorsqu’il s’agit non seulement d’un changement de politique intérieure, mais d’une obligation juridique internationale. En tout état de cause, le droit international des traités, consacré par la Convention de Vienne, confirme que les dispositions d’un traité antérieur ne s’appliquent que dans la mesure où elles sont compatibles avec celles d’un traité ultérieur.
Par conséquent, l’obligation du TCE de traiter équitablement les investissements dans les combustibles fossiles ne s’applique que dans la mesure où elle est compatible avec l’Accord de Paris. L’analyse ne s’applique pas dans l’autre sens. Rester signataire du TCE serait une manière pour la France de montrer son attachement aux objectifs de l’Accord de Paris, car le TCE protège aussi les projets d’énergies renouvelables. . ce jour, plus de la moitié des plaintes déposées concernent le secteur des énergies renouvelables.6 Par ailleurs, la décision de retrait de la France ne lui permet pas d’oublier l’industrie des énergies fossiles, car le TCE continue « à s’appliquer pendant une période de vingt ans (…) à compter du moment où le retrait (…) prend effet »7. Il est donc exagéré de prétendre que ce retrait se fait au nom de l’Accord de Paris.