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Nouveau chapitre dans la saga judiciaire relative au CBD

Par Marion Abecassis et Marion de Galembert, avocates, département corporate, cabinet DLA Piper.

Dans une ordonnance attendue du 24 janvier 2022, le juge des référés du Conseil d’État a suspendu, à titre provisoire, les dispositions du premier alinéa du II de l’article 1er de l’arrêté du 30 décembre 2021, interdisant la commercialisation des fleurs et feuilles brutes de certaines variétés de cannabis en dépit de leur teneur en THC inférieure à 0,3 %. Cette décision s’inscrit dans la lignée de l’arrêt Kanavape rendu par la CJUE en 2020 sur une question qui divise sur le plan politique.

Le cannabidiol (CBD) est, à l’instar du delta-9-tétrahydrocannabinol (THC), l’un des principaux cannabinoïdes contenus dans le chanvre industriel (Cannabis Sativa L.). Il est généralement admis que le CBD n’a pas d’effet psychotrope.

Le statut du CBD et des produits contenant du CBD fait depuis longtemps l’objet de vives controverses, à la croisée d’enjeux économiques, juridiques et politiques. En marge de la lutte contre les stupéfiants et des expérimentations du cannabis à usage médical, un véritable marché du CBD sous toutes ses formes a prospéré.

Au niveau national, l’article R. 5132-86 du code de la santé publique prévoit une dérogation à l’interdiction générale de commercialisation du cannabis s’agissant des « variétés de cannabis dépourvues de propriétés stupéfiantes » autorisées par arrêté. L’arrêté du 22 août 1990 avait autorisé la commercialisation des variétés de Cannabis Sativa L. (fibres et graines) dont la teneur en THC n’était pas supérieure à 0,2 %. Une circulaire du 23 juillet 2018 du ministère de la Justice était venue préciser que cette teneur « s’appliqu[ait] à la plante de cannabis et non pas au produit fini ».

Le coup d’arrêt Kanavape

Le 19 novembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a considéré que le CBD en cause ne constituait pas un stupéfiant (point 63) et que la réglementation française interdisant la commercialisation du CBD issu de la plante de Cannabis Sativa L. dans son intégralité (et non de ses seules fibres et graines) s’oppose au principe de libre circulation des marchandises « à moins que cette réglementation soit propre à garantir la réalisation de l’objectif de la protection de la santé publique et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint » (point 96) (CJUE, 19 novembre 2020, C-663/18, Kanavape).

À la suite de cette décision remarquée, un nouvel arrêté interministériel du 30 décembre 2021 a été publié, après avoir été soumis pour avis à la Commission européenne. S’il abroge l’arrêté de 1990 et porte désormais le plafond de teneur en THC autorisée à 0,3 %, l’arrêté de 2021 maintient toutefois la restriction applicable aux fleurs et aux feuilles brutes de cannabis qui « ne peuvent être récoltées, importées ou utilisées que pour la production industrielle d’extraits de chanvre ».

En pratique, la commercialisation des fleurs et feuilles de Cannabis Sativa L. représenterait entre 60 et 70 % du chiffre d’affaires de la filière CBD en France.

Les conséquences tirées par le Conseil d’État

Saisi d’un référé-suspension, le Conseil d’État a estimé, dans une ordonnance rendue le 24 janvier 2022, que cette « mesure d’interdiction générale et absolue prise présente un caractère disproportionné est de nature à créer un doute sérieux quant à sa légalité » et a suspendu, à titre provisoire, les dispositions litigieuses.

Le Conseil d’État a relevé, en particulier, qu’ « il ne résulte pas de l’instruction […] que les fleurs et feuilles de chanvre dont la teneur en THC n’est pas supérieure à 0,30 % revêtiraient un degré de nocivité pour la santé justifiant une mesure d’interdiction générale et absolue de leur vente aux consommateurs et de leur consommation, cette teneur étant d’ailleurs celle retenue par l’arrêté contesté lui-même […] pour caractériser les plantes autorisées à la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale. Il n’en résulte pas davantage qu’il ne serait pas possible de mobiliser les moyens permettant de contrôler cette teneur ».

S’il convient d’attendre que le Conseil d’État se prononce définitivement au fond sur la légalité de l’arrêté de 2021, cette première décision en référé donne le ton et s’inscrit dans le sillage d’autres décisions de juridictions françaises tirant les conséquences de l’arrêt Kanavape de la CJUE (CC, QPC, 7 janvier 2022, n° 2021-960 ; Cass. Crim., 15 juin 2021, n° 18-86.932 ; Cass. Crim., 23 juin 2021, n° 20-84.21).

Reste à s’interroger sur la mise en place et l’efficacité des contrôles de la teneur en THC alors que l’activité des CBD shops fleurit, en parallèle de l’émergence du marché réglementé du cannabis et des cannabinoïdes à usage médical.