Loi de blocage : une réforme créatrice de moyens insoupçonnés en matière d’arbitrage international ?
La loi de blocage, qui a vocation à protéger les entreprises françaises contre certaines demandes de production de preuves à portée extraterritoriale, a récemment évolué. Le nouveau dispositif, qui facilite l’émission d’avis par l’administration, est susceptible de constituer un instrument utile pour les entreprises françaises en matière d’arbitrage international.
La loi dite « de blocage » du 26 juillet 1968 a introduit en droit français un dispositif sanctionné pénalement ayant notamment pour objet de faire obstacle à la transmission, par les entreprises françaises, d’informations sensibles dans le cadre de procédures judiciaires ou administratives étrangères, lorsque ces demandes se font en dehors des canaux de la coopération internationale.
Très rarement mis en œuvre, ce cadre juridique a fait l’objet d’une réforme innovante en 2022, qui donne aux entreprises un interlocuteur unique rattaché à la Direction générale des entreprises de Bercy, le « service de l’information stratégique et de la sécurité économiques » (SISSE). Concomitamment, un guide a été établi par l’AFEP et le MEDEF, en lien avec le SISSE, afin d’aider les entreprises à identifier les informations susceptibles d’entrer dans le champ d’application de la loi.
Cette réforme a bouleversé les usages. Le SISSE, saisi par les entreprises dont la production de preuves est sollicitée, rend dans le mois de sa saisine un avis. Les entreprises concernées peuvent ensuite produire cet avis auprès des juridictions et autorités étrangères, afin que ces dernières prennent en considération l’impossibilité dans laquelle l’entreprise se trouve de transmettre les éléments demandés sans encourir un risque de condamnation pénale, et réorientent leur demande en faisant usage des outils de la coopération internationale.
L’applicabilité de la loi de blocage
en matière d’arbitrage international
La loi de blocage, de nature pénale, est d’interprétation stricte. Dès lors qu’elle ne vise expressément que « la constitution de preuves en vue de procédures judiciaires ou administratives étrangères ou dans le cadre de celles-ci », son champ d’application exclut les procédures d’arbitrage.
Pour autant, son applicabilité en matière d’arbitrage international paraît envisageable à plusieurs titres.
Tout d’abord, l’application de la loi de blocage est susceptible d’être contractualisée entre les parties. À titre d’exemple, un acteur français du secteur de la défense pourrait avoir intérêt à ce qu’une référence à ce texte soit incluse dans ses clauses ou compromis d’arbitrage, le rendant ainsi opposable. Cet élément serait alors intégré à la négociation, au même titre que le choix de l’institution ou du lieu de l’arbitrage.
Ensuite, la loi de blocage est susceptible de s’appliquer dans le cadre d’une phase d’obtention de preuves préalable à la procédure d’arbitrage (ex : article 145 CPC).
Lors de la procédure d’arbitrage elle-même, l’articulation de la loi de blocage avec les règles de l’IBA relatives à l’administration de la preuve en arbitrage international (IBA Rules) est prometteuse. En effet, les articles 9.2. e. et f. des IBA Rules permettent d’exclure du champ de la production forcée un support de preuve pour des raisons tenant à des « règles de confidentialité commerciale ou technique », ou lorsque la preuve « est classée comme secrète par un gouvernement ou une institution internationale de droit public ». Un avis du SISSE, obtenu à cette fin par une partie française, pourrait dans ce contexte constituer un moyen efficace de résister à une production documentaire.
Enfin, la loi de blocage pourrait être invoquée au stade de la reconnaissance et de l’exécution de la sentence, à condition bien sûr que la loi de blocage soit effectivement violée et que les principes qu’elle vise à protéger soient intégrés à l’ordre public international français.
La loi de blocage, qui semblait désuète, a retrouvé de son intérêt à la suite de la réforme de 2022 et du rôle nouveau confié au SISSE. Si l’arbitrage international ne rentre toujours pas dans son champ d’application, les praticiens doivent garder à l’esprit les moyens que le nouveau dispositif leur offre pour la défense des intérêts de leurs clients.