L’impact de l’harmonisation européenne du cadre répressif des sanctions économiques en droit français
La directive européenne 2024/1226 (1) du 24 avril 2024 établit des règles minimales visant à harmoniser la définition et les sanctions associées aux infractions en matière de « mesures restrictives », dites aussi « sanctions économiques », de l’Union européenne. La France, bien que disposant déjà d’un cadre répressif en la matière, devra procéder à certains ajustements avant le 20 mai 2025, date limite de transposition de la directive.
La directive établit un large spectre d’infractions pénales en matière de mesures restrictives (e.g., mise à disposition de fonds ou de ressources à des entités désignées, absence de gel des avoirs de personnes sanctionnées, commerce de biens soumis à restrictions, etc.) et requiert des États membres qu’ils prévoient des sanctions en cas de violation mais aussi de contournement de ces règles, y compris en cas de simple incitation ou d’assistance. En outre, si la directive exige que, pour être constituées, les infractions aux sanctions économiques soient commises intentionnellement, elle étend la responsabilité pour manquement aux cas de « négligence grave » - notion dont la définition est laissée à l’appréciation des États membres.
La directive clarifie également les pratiques de contournement devant faire l’objet de sanctions, telles que l’utilisation de structures complexes ou la fourniture de fausses informations pour masquer des avoirs gelés ou effectuer des transactions interdites.
Enfin, la directive prévoit que les personnes morales pourront être tenues responsables des violations commises pour leur bénéfice par des personnes sous leur autorité si ces violations résultent d’un défaut de supervision ou de contrôle par les dirigeants de l’entreprise.
La directive requiert que les sanctions associées à ces infractions soient « effectives, proportionnées et dissuasives ». Elle prévoit ainsi des amendes forfaitaires (8 à 40 M€) ou calculées en fonction du chiffre d’affaires annuel mondial des entreprises (1 à 5 %), ainsi que des peines pouvant atteindre cinq ans d’emprisonnement pour les personnes physiques. Elle instaure également des circonstances aggravantes (e.g., infractions commises par un prestataire de services professionnel en violation de ses obligations professionnelles) et atténuantes (e.g., coopération avec les autorités).
Le cadre existant en droit français
En France, le fait de contrevenir ou de tenter de contrevenir aux sanctions de l’UE est incriminé par l’article 459 du code des douanes, qui prévoit jusqu’à cinq ans d’emprisonnement, une amende égale au minimum au montant et au maximum au double de la somme sur laquelle a porté l’infraction (jusqu’à dix fois cette valeur pour les personnes morales), ainsi que la confiscation des actifs liés à l’infraction.
Malgré ce cadre juridique, les poursuites en matière de sanctions économiques demeurent rares. Plusieurs raisons peuvent l’expliquer, telle l’absence de juridictions et de parquets spécialisés en la matière –bien que le Parquet national financier (PNF) puisse, par voie de connexité, être compétent en la matière. Le mécanisme du verrou de Bercy, conditionnant les poursuites à une plainte préalable du ministère de l’Économie et des Finances, peut également constituer un frein à la mise en œuvre des dispositions répressives.
Transposition en droit français
La France devra vraisemblablement transposer les infractions prévues par la directive dans un texte de loi modifié (qui ne prévoit actuellement qu’une infraction globale aux règles de sanctions communautaires), ainsi que les concepts de négligence grave et de défaut de surveillance, deux notions qui étendront le champ actuel de la responsabilité pénale des personnes morales. Le mode de calcul des amendes devra également être modifié pour s’aligner sur les normes européennes. À cette occasion, le législateur pourrait transférer les infractions aux mesures restrictives du code des douanes vers le code pénal, comme un projet de loi l’avait déjà suggéré en 2016.
Une réforme du verrou de Bercy pourrait également être envisagée afin d’assurer la comptabilité du droit français avec la directive qui exige une application effective des sanctions. À l’instar de la réforme opérée en 2018 pour la fraude fiscale, une saisine automatique du parquet en cas de violations graves pourrait être instaurée.
Enfin, la France devra décider si elle adopte le seuil de 10K€ proposé par la directive, en deçà duquel certaines violations mineures ne seraient pas incriminées.