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L’illusion égalitariste

Par Par Ian de Bondt, directeur associé de Fed Légal

Le recrutement n’est pas un exercice égalitaire, mais un processus de sélection qui distingue et exclut. Pourtant, beaucoup de candidats s’accrochent à l’idée d’un marché du travail où chacun aurait une chance égale. Cette illusion se heurte à une réalité : accepter le feedback exige de dépasser son ego pour mieux s’adapter aux exigences du marché.

Le feedback

Depuis 17 ans que je travaille comme chasseur de têtes pour les cabinets d’avocats d’affaires, j’ai souvent entendu cette phrase : « J’aimerais un retour sur ma candidature afin de comprendre les raisons de son refus ».

Pourtant, dans la pratique, rares sont les candidats qui l’acceptent vraiment.

Le feedback n’est pas un exercice facile. Il exige une certaine humilité pour l’entendre et une vraie capacité d’introspection pour en tirer des enseignements. Mais soyons honnêtes : beaucoup de candidats attendent un feedback pour qu’il valide leur vision d’eux-mêmes, pas pour remettre en question leur parcours ou leur approche. Et lorsqu’il ne correspond pas à leurs attentes, ils le rejettent ou le jugent injuste.

C’est précisément là que se trouve le cœur du malentendu : le recrutement, par nature, n’est pas égalitariste. Il repose, pour un poste donné, sur une sélection, sur la distinction entre les bons et les moins bons candidats, les parcours d’exception et les trajectoires plus standards.

L’illusion d’un marché du travail égalitaire

Dans une société qui valorise de plus en plus l’inclusion et l’égalité des chances, il n’est pas surprenant que certains candidats espèrent un marché du travail où tout le monde pourrait accéder aux mêmes positions.

Cette aspiration est légitime, mais elle se heurte à une réalité immuable : le recrutement est un acte discriminant – au sens étymologique du terme (« dis- » indique une distinction/une séparation et cernere signifie choisir/séparer).

Les entreprises recherchent des compétences, des qualités humaines et une adéquation avec leurs besoins spécifiques. Ce processus implique nécessairement de choisir certains profils plutôt que d’autres.

Oui, le recrutement distingue. Et c’est normal, voire heureux, qu’il en soit ainsi.

La valeur du parcours et de la performance

Dans mon métier, je constate souvent une déconnexion entre les attentes des candidats et les réalités du marché. Beaucoup pensent que l’accès aux « plus belles opportunités » devrait leur être garanti simplement parce qu’ils remplissent les critères de base. Or, les parcours d’exception, ceux qui ouvrent les portes des cabinets les plus prestigieux ou des postes les plus stratégiques, reposent sur une combinaison de facteurs :

un parcours académique d’excellence ;


des expériences professionnelles et donc une formation particulière ;


une cohérence dans le parcours et les choix de carrière ;

une expertise technique solide et reconnue.

On peut regretter tel ou tel critère mais c’est ainsi. En sortant de ma fac de droit à Rennes, je ne me suis pas dit « tiens je vais postuler chez Goldman Sachs »

Si tout était accessible à tous en permanence, sans distinction, diplômes et expériences professionnelles perdraient toute valeur. C’est bien là le paradoxe de la démocratisation : elle a parfois créé l’illusion d’une égalité absolue, au détriment de la méritocratie.

Les candidats qui n’intègrent pas cette réalité perçoivent souvent le système comme injuste. Mais cette perception naît d’une méconnaissance du fonctionnement réel du marché du travail et de ses exigences.

Le feedback : un outil ou un miroir ?

Revenons au feedback. Lorsqu’il est bien formulé, il ne vise pas à rabaisser ou à décourager : il est une occasion de progresser, d’adapter son approche et de se repositionner efficacement. Mais pour qu’il soit utile, encore faut-il que le candidat soit prêt à l’entendre. Cela suppose :

une ouverture d’esprit ;

une analyse objective de ses forces et faiblesses ;

une capacité à transformer ce retour en actions concrètes.

Trop souvent, le feedback est mal perçu parce qu’il met en lumière des réalités que le candidat refuse d’accepter : une formation jugée insuffisante, une expérience limitée, une attitude inadaptée en entretien, une trajectoire instable ou manquant de cohérence, etc.

Accepter le recrutement tel qu’il est

Le recrutement n’est pas un droit, c’est une opportunité. Il distingue parce qu’il doit distinguer. Les entreprises ont des besoins précis, des attentes justifiées, et elles recherchent des individus capables de répondre à ces exigences. Que leurs critères soient légitimes ou pas, c’est un autre débat.

Quand vous choisissez votre compagnon ou compagne de vie, les autres prétendants ne crient pas à l’injustice sous prétexte qu’ils ont aussi deux yeux, deux oreilles, un nez et une bouche.

En tant que candidat, l’objectif ne devrait pas être de forcer un système à devenir égalitariste, mais de comprendre ses règles et d’y exceller. Cela commence par accepter les retours, même lorsqu’ils sont difficiles, et par se poser les bonnes questions.

Le marché du travail n’est pas injuste : il est exigeant. C’est à nous de comprendre ses attentes et de nous y adapter pour en tirer parti.