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L’exigence de durabilité pour les entreprises n’est pas un mirage

Par Par Mark Barges, associé, et Lisa Vivent, cabinet Ashurst

Le cabinet Ashurst a publié en février 2024 la quatrième édition de son étude intitulée « Powering Change : Technologies Fuelling the Future », qui recueille à l’échelle mondiale les points de vue de plus de 2 000 chefs d’entreprise des pays du G20 sur la transition vers un système énergétique à faible émission de carbone.

L’étude révèle que la quasi-totalité (95 %) des personnes interrogées s’attendent à ce que les investissements dans les énergies renouvelables, la transition énergétique et les technologies propres augmentent de manière significative au cours des cinq prochaines années. Plus précisément, en France, 60 % de ces chefs d’entreprise s’attendent à ce que leur entreprise accélère, au cours des 12 prochains mois, ses investissements dans les énergies renouvelables et se détourne ainsi des combustibles traditionnels. Parmi les technologies émergentes, ils identifient le stockage d’énergie à air comprimé (35 % des répondants) comme la technologie attendue dans les cinq prochaines années, suivie de près par les solutions fondées sur la nature (32 %).

Surtout, l’étude révèle qu’en France (81 %) plus qu’ailleurs (75 %), les entreprises déclarent subir une pression forte de la part de leur conseil d’administration et des investisseurs pour investir dans la transition énergétique, mais également anticiper une augmentation des litiges liés à des facteurs environnementaux, au cours des cinq prochaines années (73 %, contre 68 % à l’échelle mondiale).

L’actualité juridique pourrait bien leur donner raison.

La mise en œuvre des nouvelles obligations de reporting de durabilité et en matière de vigilance que leur imposent les récentes directives européennes CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive), qui consacrent le passage d’une compliance volontaire à une compliance imposée, fera certainement éclore de nouveaux contentieux. Le non-respect des obligations de reporting extra-financier prévues par la CSRD expose les entreprises à des sanctions administratives ou pénales, notamment en cas de «fausses informations adressées au marché», considérée comme une pratique constitutive d’abus de marché. Avec le devoir de vigilance européen, c’est désormais 5 500 entreprises européennes qui se trouvent assujetties, contre environ 280 en vertu de la loi française de 2017 sur le devoir de vigilance. En vertu de ce nouveau texte, la France devra de surcroît désigner une autorité de contrôle dotée d’un réel pouvoir d’injonction et de sanction, offrant ainsi un forum supplémentaire au contentieux du devoir de vigilance.

Les actions judiciaires pour « greenwashing » pourraient aussi se trouver facilitées par la transposition de deux directives européennes sur les allégations environnementales (une ayant été définitivement adoptée le 28 février dernier), imposant notamment aux entreprises d’être en mesure de justifier rigoureusement leurs allégations et l’utilisation de labels.

C’est enfin les décisions très attendues rendues le 18 juin dernier par la nouvelle chambre spécialisée de la cour d’appel de Paris qui crédibilisent le risque de procès climatiques inédits contre les entreprises. La cour, statuant pour la première fois sur la question de la recevabilité d’actions fondées sur le devoir de vigilance, a infirmé l’interprétation du texte particulièrement restrictive retenue par les premiers juges de la mise en état en 2023, mettant à la charge des « parties prenantes », l’instauration d’une véritable phase de dialogue et de concertation précontentieuse avec les entreprises. La cour a ainsi déclaré une partie des demanderesses recevables, ouvrant la porte à un débat sur le fond, et affirmant sa volonté d’exercer pleinement son office en la matière.

À l’image d’une plainte pénale déposée le 21 mai dernier pour « mises en danger de la vie d’autrui, homicides involontaires, abstentions de combattre un sinistre et atteintes à la biodiversité », la société civile, à travers l’action judiciaire des ONG notamment, semble ainsi déterminée à utiliser l’ensemble des fondements juridiques disponibles en droit français. Ne peut d’ailleurs être exclue l’émergence d’un nouveau type de contentieux, dirigé cette fois directement contre les dirigeants et administrateurs des entreprises, sur le fondement de l’article 1833 du code civil, qui les oblige expressément à une gestion durable de la société.

Gageons que le fait d’actionner la responsabilité des personnes physiques constituera un levier plus important encore.