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Les nouveaux horizons des programmes de conformité

Par Par Frédéric Puel, associé, et Nicolas Hipp, cabinet Fidal

La prise en compte des programmes de conformité est un sujet important marquant le tournant ex ante du droit de la concurrence appuyé par les autorités de concurrence (1). Cet intérêt se traduit des deux côtés de l’Atlantique avec, en France, le document-cadre sur les programmes de conformité publié le 24 mai 2022 par l’Autorité de la concurrence (ci-après « ADLC ») et, aux États-Unis, le Evaluation of Corporate Compliance Programs in Criminal Antitrust Investigations (ci-après « ECCP ») du Department of Justice (ci-après « DOJ »), mis à jour le 12 novembre 2024. Ces deux documents partagent un objectif commun : les entreprises doivent être équipées d’un programme de conformité sur mesure, basé sur une approche par les risques.

L’ADLC préconise une cartographie des risques

Le document cadre de 2022 remplace celui publié en 2012. Ce dernier précisait que la valeur ajoutée des programmes de conformité reposait « sur la combinaison de deux composantes préventive et curative » (§11). Cette nouvelle mouture accentue l’aspect préventif en spécifiant à ses paragraphes 25 et 26 que « ce travail nécessite de procéder à une analyse des risques, qui conduit à l’établissement d’une cartographie des risques identifiés ».

Ainsi l’ADLC attend une approche sur mesure. Les termes « cartographie de risques », sciemment employés par l’ADLC dans son document-cadre, renvoient au référentiel ISO31000 qui décrit un processus de gestion des risques en 5 étapes :

Identification : Elle consiste en la détermination du périmètre de l’analyse résultant de l’intersection entre les activités de l’entreprise (processus) et les règles de concurrence ;

Analyse : Elle s’appuie sur des informations et documents transmis par l’entreprise et sur l’auditions des « propriétaires de risques » ;

Évaluation : Les résultats de l’analyse permettent de placer les risques sur une matrice de chaleur avec, en ordonné, la probabilité de réalisation et, en abscisse, l’impact du risque en cas de réalisation. Cette évaluation tient compte de la mesure des risques indépendamment des mesures mises en place par l’entreprise (risque brut), de l’efficacité des actions de conformité de l’entreprise, pour mesurer les risques résiduels (risques nets) ;

Traitement : Cette mesure objective permet d’identifier les risques nets à forte criticité et de déterminer les mesures efficaces pour atténuer ces risques ;

Surveillance : Cette dernière étape consiste à maintenir un niveau élevé d’acuité sur les changements internes ou externes qui pourraient modifier l’analyse et les résultats et donc nécessité l’évolution des mesures adoptées.

Cette méthodologie permet de déterminer avec précision le niveau d’exposition aux risques de l’entreprise et à construire des mesures de conformité pour atténuer les risques à plus forte criticité.

Incitation ou obligation des programmes
de conformité concurrence : les lectures parallèles
de l’ECCP et du document-cadre de l’ADLC

L’ECCP définit neuf facteurs que les procureurs devraient prendre en compte, dans le cadre de procédures contentieuses, pour évaluer l’efficacité d’un programme de conformité au droit de la concurrence, parmi lesquels on peut trouver la culture de la conformité au sein de l’entreprise, la responsabilité et les ressources consacrées à la conformité aux règles de concurrence, l’analyse du risque, l’information et la formation des employés, la surveillance et les audits et les mécanismes de signalement. Ces différents facteurs correspondent, peu ou prou, aux cinq piliers sur lesquels repose le 1er volet du programme de conformité ADLC. Ces similarités illustrent la proximité entre les principes et objectifs des autorités de la concurrence des deux côtés de l’Atlantique.

L’ECCP constitue un guide pertinent concernant le standard auquel doivent prétendre les programmes de conformité. En effet on peut noter que l’ECCP vise à aider les procureurs à prendre des décisions éclairées notamment concernant la détermination de la sanction. L’ECCP rappelle ainsi que conformément aux United States Sentencing Guidelines l’existence d’un programme de conformité efficace est prise en compte pour le calcul de l’amende.

En France, le document-cadre de 2012 interdisait à l’ADLC de faire un lien entre programme de conformité et circonstance atténuante ou aggravante (paragraphes 24 à 26). Cette contrainte ne figure plus dans la version de 2022. Ainsi, dans le cadre d’une procédure, l’ADLC pourrait constater l’existence ou l’absence de programme de conformité au sein d’une entreprise, en mesurer l’efficacité, et décider de circonstances atténuantes ou aggravantes. Cette modification, bien que formulée de manière moins explicite que l’ECCP, permettrait à l’ADLC de modifier le montant des sanctions à la hausse ou à la baisse selon l’existence et la qualité du programme de conformité.

Ainsi, la prise en compte des programmes de conformité par les autorités américaines illustre l’importance de ces programmes pour les entreprises et le rôle qu’ils sont susceptibles de jouer dans le calcul des sanctions.

L’orientation américaine et les évolutions des documents-cadres de l’ADLC valident l’analyse de prudence que doivent opérer les entreprises en adoptant, selon la méthodologie proposée par l’ADLC, un programme de conformité efficace.