L’effet des décisions des juges britanniques post-Brexit : une chance pour les autres places du droit ?
Quel que soit le résultat des élections du 12 décembre prochain au Royaume-Uni (RU), même si les perspectives d’un Brexit sans accord ou d’un Brexit sans fin s’éloignent, le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice, consacré par le Règlement (UE) n°1215/2012 (Bruxelles I bis), en vertu duquel tout jugement rendu par un État membre est immédiatement revêtu de l’autorité de la chose jugée et de plein droit exécutoire dans les autres États membres sera remis en cause.
Dès lors que les autorités britanniques ont déclaré vouloir contrôler leur droit et mettre fin à la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), le Royaume-Uni devra parvenir à un (ou plusieurs) accord international, ou, à défaut, se voir appliquer le droit commun de la reconnaissance international de chaque État.
En France, les jugements britanniques feront l’objet d’une procédure d’exequatur, relativement simple, qui est accordée à la triple condition que le jugement ait été rendu par un juge compétent, qu’il n’ait pas été obtenu en fraude de la loi française et qu’il soit conforme à l’ordre public international français de fond et de procédure.
Tels n’est pas le cas d’autres États membres qui disposent généralement d’autres causes de refus d’exequatur ou, plus encore, exigent qu’un nouveau jugement au fond soit rendu.
Certains considèrent que le Royaume-Uni pourrait recourir à des instruments préexistants :
■ la Convention de Bruxelles de 1968 à laquelle le Royaume-Uni était partie avant l’adoption des Règlements Bruxelles I et I bis. Toutefois, cela serait source d’insécurités : outre que certains États membres n’étaient pas partie à la Convention, y recourir reviendrait à appliquer un droit obsolète, pour lequel les décisions récentes de la CJUE ne sont pas applicables ;
■ à l’instar du Danemark, le Royaume-Uni pourrait conclure avec l’Union Européenne (UE) un accord afin que le Règlement Bruxelles I bis lui soit applicable. Cela ne semble toutefois pas conforme à l’esprit du Brexit, le Royaume-Uni souhaitant au contraire ne plus être soumis au droit de l’UE et aux décisions de la CJUE ;
■ le Royaume-Uni pourrait adhérer à la Convention de Lugano de 2007 qui étend le Règlement Bruxelles I bis aux membres de l’Association Européenne de Libre-Échange (AELE) (Islande, Suisse et Norvège). Il devrait alors soit devenir membre, soit adhérer à la Convention comme État tiers avec l’accord de tous les signataires ;
■ enfin, l’UE et le Royaume-Uni pourraient adhérer à la Convention de La Haye adoptée le 2 juillet 2019 en matière de reconnaissance et d’exécution des jugements. Cependant, cette Convention ne prévoit pas un principe de reconnaissance mutuelle mais une procédure d’exequatur en vertu de laquelle la reconnaissance d’un jugement est notamment conditionnée au respect de l’ordre public, du principe du contradictoire et à l’absence de fraude.
Il apparaît donc que le recours tant à un accord international préexistant qu’au droit interne de chaque État membre ne serait pas adapté. Le Royaume-Uni aura donc intérêt à négocier de nouveaux accords, directement avec l’UE ou avec chaque État membre afin de définir des règles particulières.
Cette situation, dont on rappelle qu’elle peut être extrêmement longue, ouvre une période d’incertitude et d’insécurité juridique, notamment lors de la phase transitoire.
Cela doit inciter à inclure impérativement dans les contrats des clauses juridictionnelles et de loi applicable en faveur d’un État membre, permettant ainsi l’exécution d’une éventuelle décision avec toutes les facilités du droit l’UE, sur l’ensemble de son territoire.
Les efforts faits par certaines juridictions françaises, la création d’une chambre internationale à la Cour d’appel de Paris, la réputation et le développement des institutions de médiation et d’arbitrage en France, la qualité de ses juristes, le nombre des cabinets anglo-saxons qui y sont installés et son intégration européenne et internationale mènent aux choix tant des juridictions que de la loi française.