Connexion

Le recours à un sapiteur pour une expertise judiciaire : application à la traduction certifiée

Par Par Aboubekeur Zineddine, traducteur assermenté et fondateur du cabinet Trad’Zine

Lorsque la solution du litige dépend d’une analyse technique, il est possible de faire appel à un expert judiciaire. L’expertise peut être demandée par les parties ou par le juge, avant le procès ou au cours du procès lui-même.

 

 

Le traducteur ou l’interprète assermenté, comme tout expert judiciaire, prête serment d’accomplir sa mission en honneur et conscience. Dans certaines situations, il peut être confronté à des problématiques d’une très haute complexité. Quelles sont donc les solutions qui s’offrent à lui quand il n’a pas toutes les connaissances ou compétences requises pour la réalisation de sa mission ?

Sapere o non sapere ?

L’expert judiciaire peut être confronté, lors de la réalisation de sa mission, à des problématiques dépassant le champ de sa compétence ou de sa connaissance. À titre d’exemple, une sentence arbitrale peut contenir un passage dans une langue étrangère que le traducteur ne maîtrise pas. Pour remédier à ce manque d’expertise, la solution serait de faire appel à un sapiteur (du lat. sapere « avoir du goût », « avoir de l’intelligence, du jugement », « comprendre, savoir ») qui maîtrise cette langue, en l’occurrence un autre traducteur assermenté ou un universitaire pour les langues rares. D’autres situations peuvent survenir et nécessiter l’assistance d’autres profils, lorsque l’on traduit une notion ou terme juridique complexe : par exemple, un traducteur assermenté peut faire appel à un ingénieur pour une question technique ou scientifique, ou bien à un juriste ou un avocat pour une question juridique ou judiciaire très pointue.

Qui nomme le sapiteur ?

Le médecin-expert (dans le cadre d’une expertise médicale contentieuse) ou le médecin de compagnie (lors d’une expertise médicale amiable), désigné soit par un juge soit par une compagnie d›assurance, a la possibilité de s’adjoindre les services d’un sapiteur. Une traduction certifiée (ou comme on peut l’appeler communément, à tort, une traduction assermentée) doit être réalisée par le traducteur assermenté lui-même, qui prête serment de réaliser sa mission en honneur et conscience. Mais pour répondre à une question précise ou une problématique complexe, le traducteur assermenté peut faire appel à un sapiteur. L’article 278 du code de procédure civile dispose que l’expert peut prendre l’initiative de recueillir l’avis d’un autre technicien, mais seulement dans une spécialité distincte de la sienne. Lorsque l’expert commis doit recueillir des informations dans une catégorie technique qui n’est pas la sienne, celui-ci fait alors appel à un sapiteur. Par ailleurs, pour lui permettre de mener à bien sa mission, l’article 278-1 du même code dispose que l’expert peut se faire assister dans l’accomplissement de sa mission par la personne de son choix qui intervient sous son contrôle et sa responsabilité. En aucun cas, l’expert ne confie la totalité de sa mission à une tierce personne, au risque d’engager sa responsabilité. Le code de procédure civile n’exclut pas la possibilité de l’expert de faire appel à plusieurs sapiteurs pour une seule et même question ou affaire. L’expert peut donc se faire aider pour réaliser sa mission, toujours en son honneur et conscience.

Le sapiteur peut-il être une IA ?

L’intelligence artificielle (IA) se développe dans toutes les disciplines et devient incontournable dans certains domaines. Cependant, l’expert ne peut faire totalement faire confiance à l’IA pour réaliser sa mission en raison des erreurs qui seront potentiellement engendrées. Le recours à l’IA en traduction doit être couplé d’une révision minutieuse et être basé sur des corpus de traductions réalisés par l’expert pour éviter les biais et les contre-sens. Dans le cadre d’une expertise judiciaire, le traducteur assermenté peut être confronté à des questions d’une grande complexité, allant bien au-delà de ses compétences. Le code de procédure civile a prévu la solution : faire appel à un sapiteur, pour l’aider à réaliser sa mission. Ce dernier apportera alors l’éclairage nécessaire au traducteur.