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Le permis multidestinations, pour booster la réversibilité

Par Par David Guillot, associé, et Salomé Le Goff, juriste, cabinet DS Avocats

Conceptualisée en 1914 par Le Corbusier, la maison « Dom-Ino »1 a vocation à permettre rapidement la reconstruction des villages ravagés par la grande guerre, en proposant une ossature principale indépendante permettant la multiplicité de combinaisons, de dispositions intérieures ou de reconversions, au moyen d’éléments modulaires préfabriqués. Pour la première fois, on envisage alors un immeuble capable de s’adapter aux usages à moindre coût, favorisant la souplesse à l’immutabilité du bâti, en un mot, un immeuble réversible.

Si cette anticipation de l’évolution de l’immeuble, qui permettrait de se soustraire à l’hyper spécialisation des programmes immobiliers, est techniquement possible, grâce notamment à l’inventivité des architectes, elle connaît de nombreux obstacles juridiques, en particulier le poids des normes et l’absence de véhicule réglementaire.

De ce point de vue, l’exemplarité des Jeux de Paris a notamment été rendue possible par une innovation juridique : le permis « à double état », autorisant dans le même temps la construction des ouvrages olympiques et leur reconversion vers une autre destination, en phase héritage. Reste que cet outil n’a ainsi vocation à régir qu’une situation exceptionnelle, provisoire et précisément délimitée. Comment permettre sa généralisation ?

C’est ainsi que la création d’un permis de construire « à destinations multiples », sans ordre de mise en œuvre prédéterminé, a fait l’objet d’une récente proposition de loi visant à faciliter la transformation des bureaux en logements, en offrant aux porteurs de projet la possibilité de solliciter des permis de construire autorisant, dès leur délivrance, deux destinations successives dans les zones dans lesquelles cette faculté aura été ouverte par l’autorité compétente en matière de document d’urbanisme, après avis conforme de la commune concernée. D’une durée de validité de 10 ans, et renouvelable deux fois pour une durée de cinq ans, ce permis « multidestinations » favoriserait des projets hybrides au service non plus d’une fonctionnalité unique mais de ses usagers, et de leurs besoins évolutifs.

Il permettrait au porteur de projet de s’affranchir de toute déclaration préalable requise par l’article R*421-17 du code de l’urbanisme en cas de changement de destination, ou de tout permis de construire supplémentaire, exigé par l’article R*421-14 du même code lorsque le changement de destination s’accompagne de travaux ayant pour effet de modifier les structures porteuses ou bien la façade de l’immeuble, ce qui est généralement nécessaire lorsque l’immeuble n’est pas pensé, dès sa conception, comme capable de s’adapter à des affectations multiples.

Restera ensuite à surmonter la frilosité des investisseurs, qui s’explique par un cadre législatif, réglementaire et fiscal encore peu incitatif, auquel s’ajoutent les surcoûts générés par la construction, en réalité limités à 5 à 20 % et absorbés par les économies de reconversion, un régime de responsabilité des constructeurs inadapté et la crainte de certains élus de voir disparaître les taxes sur locaux à usage de bureaux.

Malgré ces écueils, ce nouveau modèle constructif est encouragé tant par les architectes que les pouvoirs publics, et a été concrétisé par plusieurs projets d’ampleur. Ainsi, à Lyon, une opération de 31 500 m2 coordonnée par David Chipperfield Architects et située au sein de la ZAC 2 de Lyon Confluence accueille le bâtiment Work #1, intégralement réversible de bureaux en logements, livré en 2021. À Bordeaux, le projet TEBiO, porté par Patrick Rubin et son agence Canal Architecture, a vocation à mettre en œuvre ses principes constructifs de la réversibilité2 par le biais d’une tour d’environ 4 000 m², conçue pour évoluer et s’adapter aux besoins des utilisateurs.

Ces initiatives, réalisées au moyen des outils législatifs existants, qu’il s’agisse d’un permis de construire classique qui s’accompagnera d’un changement de destination, ou d’un permis d’innover ne comportant aucune indication sur la destination, sont favorisées par des métropoles craignant de voir augmenter le nombre de bureaux vacants. Ainsi, le projet de PLU bioclimatique parisien, qui sera soumis au vote du Conseil de Paris à la fin de l’année 2024, encourage la réalisation de constructions sobres, pérennes et réversibles au travers de l’une de ses orientations d’aménagement et de programmation intitulée « Construction neuve ».

Né d’un souci d’adaptabilité et de dynamisme du système urbain, le permis de construire à destinations multiples permettra d’accompagner la démarche actuellement à l’œuvre tendant à un objectif d’efficience urbaine, en pleine crise du logement conjuguée au défi climatique. Le développement de cet outil nécessitera en revanche de convaincre investisseurs et promoteurs de la rentabilité d’un tel produit sur le long terme, les économies en résultant ne se dégageant que lors du second cycle de vie du bâtiment. T

Notes

(1) Dom-Ino est la contraction de « domus » (latin pour maison) et des pièces du jeu de dominos.

(2) Il s’agit de sept principes constructifs définis dans l’étude « Construire Réversible » publiée par l’agence Canal Architecture en 2017.

D. Guillot