Le clair obscur conflit d’intérêts
L’article 7 du décret 2005–790 du 12 juillet 2005 (repris par l’article 4.1 du RIN) fixe des principes apparemment simples régissant le conflit d’intérêts. Apparemment seulement.
Premier alinéa, « L’avocat ne peut être ni le conseil ni le représentant ou le défenseur de plus d’un client dans une même affaire s’il y a conflit entre les intérêts de ses clients ou, sauf accord des parties, s’il existe un risque sérieux d’un tel conflit ».
Cette rédaction postule que si l’avocat a plusieurs clients dans un même dossier (« un conflit entre les intérêts de ses clients »), il en choisit un, et un seul, abandonnant nécessairement les autres.
En revanche, lorsque, toujours entre ses clients, apparaît un risque sérieux de conflits d’intérêts, il peut les défendre tous sous réserve de leur accord.
Ainsi, lorsque le conflit d’intérêts est avéré, la prohibition est absolue mais lorsqu’il existe seulement un risque sérieux, ce qui laisse à penser qu’il peut se produire, l’accord des clients autorise l’avocat à intervenir pour tous.
Cette rédaction pose plus de questions qu’elle n’en résout.
En effet, dans ce dernier cas, qui détermine, et selon quels critères, la survenue du conflit contraignant l’avocat à choisir le client qu’il continuera de défendre ? Est-ce l’avocat ? Les parties ?
L’alinéa deux est plus obscur encore : « Sauf accord écrit des parties, il s’abstient de s’occuper des affaires de tous les clients concernés lorsque surgit un conflit d’intérêts, lorsque le secret professionnel risque d’être violé ou lorsque son indépendance risque de ne plus être entière ».
Cet alinéa vise l’hypothèse où plusieurs affaires impliqueraient des clients en conflit d’intérêts. L’accord des clients, qui doit être écrit, ce qui n’était précisé au cas visé par l’alinéa premier, permet à l’avocat de passer outre le conflit d’intérêts.
La logique du texte est difficile à saisir. Existe-t-il une différence de nature entre le conflit d’intérêts survenant dans le cadre de la même affaire et le conflit d’intérêts survenant dans le cadre de plusieurs affaires ? Cela n’est guère évident, ni pour l’avocat, ni pour ses clients. D’autant qu’ici, l’accord écrit des parties autorise l’avocat à se maintenir, alors même que le secret professionnel, pendant du conflit d’intérêts, ne peut être levé par le client lui-même.
La jurisprudence et la doctrine sont-elles susceptibles de nous éclairer ?
Très nombreux sont les cas dans lesquels la juridiction ordinale et les juridictions étatiques retiennent le conflit d’intérêts. Ainsi, parmi des dizaines d’autres exemples, il y a conflit d’intérêts lorsque l’avocat exécuteur testamentaire intervient ultérieurement à l’encontre d’un héritier au profit d’un autre, lorsque l’avocat dépose une demande de suppression de la pension alimentaire due par le mari à la femme alors qu’il était en charge des intérêts des deux conjoints dans la procédure de divorce, lorsque l’avocat se constitue contre l’un de ses clients ou un ancien client, lorsqu’il représente deux parties ayant à l’évidence des intérêts divergents…
L’avocat qui s’interroge sur l’existence d’un conflit intérêts doit se poser la question de l’acceptation ou non de la défense du client au regard du risque de violation du secret professionnel, mais aussi au regard des principes de loyauté, d’indépendance et de délicatesse. Si ces principes essentiels risquent d’être bafoués il est clair qu’il y a conflit d’intérêts. Il s’agit là de critères simples à mettre en œuvre. Et l’on ne peut que recommander à l’avocat d’examiner la situation en conscience, en faisant preuve d’exigence.
Une exigence plus stricte encore s’impose lorsque l’avocat a des intérêts personnels directs ou indirects dans l’affaire en cause. La jurisprudence est en effet particulièrement vigilante dans ce type de situation comme si, à la faute déontologique s’ajoutait une faute morale.
En définitive, la notion de conflit d’intérêts est complexe. En cas d’hésitation, la meilleure solution consiste à saisir un déontologue de l’Ordre et à se ranger à son avis. ■