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La proposition de directive contre les procédures-bâillon : une protection supplémentaire des lanceurs d’alerte

Par Constantin Achillas, associé, et Léo Gonzalvez-Auriol, cabinet BCLP

Avec l’adoption le 23 octobre 2019 de la directive 2019/1937, l’Union Européenne a souhaité harmoniser le cadre légal et de la protection accordée aux lanceurs d’alerte au sein des États membres. En France, cette directive a été transposée par deux lois du 21 mars 2022 dites « lois Waserman », complétées par un décret d’application récent du 3 octobre 2022 qui en a précisé les modalités. La Commission européenne poursuit sur sa lancée avec une nouvelle proposition de directive 2022/0117 visant à contrer, dans les matières de nature civile et commerciale ayant une incidence transfrontière, les procédures judiciaires manifestement infondées ou abusives dites « procédures-bâillon » à l’encontre des personnes physiques et morales, en particulier des journalistes et des défenseurs des droits de l’Homme, en raison de leur participation au débat public. S’ils ne sont pas expressément nommés, les lanceurs d’alerte n’en restent pas moins visés. La nouvelle proposition précise d’ailleurs qu’elle ne porte pas atteinte à la protection déjà offerte par la directive 2019/1937 et qu’elle est pleinement cohérente avec celle-ci. Cette proposition de directive, si elle est adoptée, aura donc vocation à s’appliquer conjointement avec la directive de 2019 avec pour objectif de contrer les procédures-bâillon et protéger financièrement les personnes visées par ces procédures.

Contrer les procédures judiciaires manifestement infondées

La transposition en France de la directive 2019/1937 a instauré une sanction contre les procédures d’intimidation visant à déstabiliser les lanceurs d’alerte avec la mise en place d’une amende civile dont le montant peut aller jusqu’à 60 000 € sans préjudice de l’octroi de dommages et intérêts. Pour lutter davantage contre les actions dilatoires, la proposition de directive ambitionne de mettre en place un nouveau mécanisme : permettre au défendeur qui fait l’objet d’une procédure manifestement infondée de demander une « décision rapide de rejet ». Cette demande de rejet suspendrait alors la procédure au principal jusqu’à ce qu’une décision soit prise sur cette demande. La proposition de directive facilite la tâche du défendeur en faisant peser sur le demandeur la charge de la preuve du caractère fondé de la procédure judiciaire qu’il a initiée. Pour les décisions rendues par des juridictions de pays tiers à l’Union européenne, leur reconnaissance et exécution seraient refusées lorsqu’elles font suite à une procédure qui aurait été qualifiée de manifestement abusive ou infondée si elles avaient été portées devant les juridictions d’un État membre.

Protéger financièrement les cibles des procédures-bâillon

Un dispositif de soutien financier au bénéfice du lanceur d’alerte a été mis en place par la loi Waserman, le juge ayant dorénavant le pouvoir d’allouer une provision pour « frais de l’instance » au lanceur d’alerte, dans le cadre d’une procédure de représailles à son encontre. Une disposition similaire figure dans la proposition de directive avec la possibilité qu’un requérant ayant engagé une procédure- bâillon puisse être condamné à supporter tous les frais de procédure, y compris l’intégralité des frais de représentation en justice engagés par le défendeur (sauf frais excessifs). Un pouvoir supplémentaire serait accordé aux juridictions qui auraient la possibilité « d’infliger des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives » à la partie qui a engagé cette procédure. Reste à savoir quelles sanctions les États membres définiront. La proposition de directive préconise par ailleurs que lorsqu’une procédure judiciaire abusive a été engagée devant une juridiction d’un pays tiers contre une personne domiciliée dans un État membre, celle-ci puisse demander, devant les juridictions de son domicile, réparation de tous dommages et frais liés à cette procédure. La proposition de directive n’est toutefois qu’aux prémices de sa construction. Si les mesures prévues peuvent évoluer, la ligne directrice de l’Union Européenne, quant à la protection des « personnes qui oeuvrent en faveur de l’intérêt public », est, quant à elle, bien établie.