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La preuve déloyale désormais recevable dans un procès civil ?

Par Par Muriel Pariente, associée en droit social, Ashurst

Par deux arrêts rendus en assemblée plénière le 22 décembre 2023, la Cour de Cassation est revenue sur sa position d’exclure la preuve déloyale du procès civil.

Définie comme la preuve obtenue à l’insu d’une personne, par une manœuvre ou un stratagème, la preuve déloyale n’était historiquement admise qu’en matière pénale, sur le fondement du principe de liberté de la preuve (Cass. crim. 11 juin 2002, n° 01-85.559). En droit civil, la Cour de cassation avait en revanche consacré, également en assemblée plénière, le principe selon lequel déloyauté vaut irrecevabilité (Cass. ass. plén. 7 jan. 2011, n° 09-14.316).

Les raisons d’un tel revirement

« La Cour de cassation devait faire évoluer sa jurisprudence », selon Jean-Guy Huglo, doyen de la chambre sociale de la Cour de cassation. Il souligne qu’en écartant systématiquement la preuve déloyale du procès civil, le juge français s’éloignait du juge européen.

En effet, La Cour européenne des droits de l’Homme admet depuis longtemps le caractère fondamental du droit à la preuve sur le fondement de l’article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme. Le juge européen a même consacré ce droit, n’hésitant pas à le mettre en balance avec le droit à la vie privée (CEDH 10 oct. 2006, n° 7508/02).

Le tribunal européen n’a d’ailleurs jamais utilisé la notion de déloyauté pour statuer sur la recevabilité d’une preuve. Seuls les tribunaux français s’attardent à la définir et à la différencier de la preuve illicite qui est celle obtenue non conformément à la loi, mais sans faire preuve de déloyauté.

L’importance de la nuance entre
‘preuve illicite’ et ‘preuve déloyale’

L’idée de cette distinction est de ne plus considérer la preuve illicite comme irrecevable mais de continuer à écarter la preuve déloyale, inacceptable pour les magistrats français dans le procès civil.

Dans la première affaire, un employeur cherchait à voir admise la preuve de la faute du salarié, produite au moyen d’un enregistrement réalisé à son insu lors d’un entretien préalable. La cour d’appel d’Orléans a donné raison au salarié, qui soulignait l’irrecevabilité de la preuve invoquée. Mais les Hauts magistrats cassent l’arrêt, considérant que le juge du fond aurait dû vérifier si la preuve déloyale était recevable.

Dans le second litige, l’employeur avait licencié un salarié pour des propos injurieux et homophobes, tenus à l’égard d’un collègue lors d’une conversation privée sur Facebook et rapportés par un autre employé. La Cour de cassation casse l’arrêt, mais écarte la question de la recevabilité de la preuve litigieuse considérant que la preuve invoquée, tirée de la vie privée du salarié, ne pouvait constituer un motif de licenciement dès lors qu’elle était sans rapport avec les obligations résultant de son contrat de travail (Cass. soc. 30 sept. 2020, n° 19-12.058).

La place, dans les débats, de la preuve
déloyale nouvellement admise

La question qui se pose est donc de savoir si la preuve déloyale a systématiquement sa place dans les litiges de droit civil. La Cour répond que ce n’est pas nécessairement le cas. En effet, il appartiendra aux juges du fond de vérifier que la preuve invoquée est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et que l’atteinte que porte sa production à un autre droit est strictement proportionnée au but poursuivi par le justiciable. Il s’agira pour le juge du fond de mettre « en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence », comme c’est déjà le cas pour la preuve licite, parfois écartée des débats (Cass. soc., 20 déc. 2023, n° 21-20.904).

Très récemment, la chambre sociale a déjà eu l’occasion d’appliquer cette nouvelle jurisprudence. Dans une décision rendue le 17 janvier dernier, elle a ainsi refusé d’admettre aux débats un enregistrement litigieux, en ce qu’il n’était pas indispensable au soutien des demandes du salarié. (Cass. soc. 17 janv. 2024, n° 22-17.474).

Si l’on peut se féliciter de l’avancée de la Cour de cassation, qui reconnaît donc désormais que la preuve déloyale peut être admise en droit civil, il n’en demeure pas moins qu’elle impose aux juges du fond un exercice complexe qui sera celui de l’appréciation au cas par cas du caractère indispensable de cette preuve obtenue de manière déloyale.