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La place de l’avocat pénaliste en 2025

Par Par Louis Guesdon, counsel, cabinet Skadden Arps

Pour les entreprises et les dirigeants, la justice pénale française a pris, depuis une dizaine d’années, un virage dont la trajectoire est incertaine, entre justice transactionnelle et objectif de répression, entre dialogue avec les autorités de poursuites et tradition inquisitoire. Elle redéfinit le rôle de l’avocat pénaliste, auprès des entreprises et de leurs dirigeants, qui font face à un risque pénal de plus en plus complexe, au moins procédural si ce n’est de fond.

Deux paramètres, l’un de droit et l’autre de politique pénale, expliquent essentiellement cette trajectoire incertaine.

La convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), créée par la loi Sapin II il y a près de dix ans, mode alternatif de règlement des différends en matière pénale pour les personnes morales, est entrée dans les mœurs. Elle a doté la France d’un outil juridique permettant une réponse pénale plus rapide et efficace aux affaires complexes mettant en cause les entreprises, à défaut aisément appréhendables par des autorités étrangères mieux dotées.

Mais, l’angle mort volontaire de la CJIP, qui n’éteint l’action publique qu’à l’égard des personnes morales et non des personnes physiques, télescope le mécanisme juridique d’engagement de la responsabilité pénale des personnes morales. Ce dernier implique la caractérisation d’un délit commis pour le compte de la personne morale par l’un de ses organes ou représentants, c’est-à-dire souvent par un dirigeant. Autrement dit, la perspective d’une CJIP se présente lorsque le parquet estime pouvoir caractériser une infraction pénale commise par un dirigeant pour le compte de la société. Depuis 2020, en outre, la CJIP ne nécessite plus, quel que soit le cadre procédural dans laquelle elle intervient, la reconnaissance des faits et des qualifications pénales.

À l’usage, la tradition pénale française, inquisitoire et marquée par une culture de l’aveu en dépit de sa modernisation, s’en accommode malaisément. Face à des faits qu’il considère caractériser un délit, le parquet qui conclut une CJIP demeure investi de l’opportunité des poursuites à l’encontre des dirigeants. Rien n’encadre alors l’exercice de l’action publique à leur encontre, qui demeure, en droit, discrétionnaire. Ne pas poursuivre est alors une décision qui peut se heurter trop frontalement aux impératifs de répression.

Par ailleurs, les moyens dont dispose le parquet en enquête préliminaire ont été renforcés, bien que souvent sous le contrôle du juge des libertés et de la détention. L’intérêt d’ouvrir une information judiciaire et de se dessaisir au profit d’un juge d’instruction s’amenuise et le cadre de plus en plus privilégié pour conduire les investigations est celui de l’enquête préliminaire, secrète. Il en résulte une asymétrie d’information chronique qui rend le terrain de la défense particulièrement instable.

Ainsi, les dirigeants restent en première ligne dans une situation de visibilité réduite.

En amont, les moyens du parquet - perquisitions, écoutes téléphoniques, auditions libres de suspect ou garde-à-vue, ainsi que saisies d’actifs - les visent personnellement car ils sont un rouage nécessaire de la mise en cause de la personne morale. En aval, la question de leur poursuite au-delà de la conclusion d’une CJIP se pose de plus en plus sérieusement au regard des objectifs traditionnels, mais toujours actuels, de la justice pénale. La discussion en vue d’une CJIP doit s’accompagner parfois, à la demande du parquet, d’une discussion relative à une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité pour le ou les dirigeants mis en cause. La CJIP n’est assurément plus, alors, un mode de règlement sans condamnation pénale.

Dans cet environnement, la place de l’avocat pénaliste évolue. La connaissance du fonctionnement de la justice pénale, de l’ouverture d’une enquête préliminaire au procès, la pratique de ses acteurs, des offices centraux de police judiciaire aux magistrats des chambres spécialisés, doit servir l’analyse des enjeux et des risques et la préparation des étapes incontournables des investigations.

Dans un contexte tributaire de décisions du parquet aux conséquences importantes mais demeurant discrétionnaires – classer sans suite, ouvrir une enquête préliminaire, engager l’action publique… – la lecture de l’avocat pénaliste, nourrie des actes de procédures que la loi impose de communiquer, des questions posées en audition libre ou en garde-à-vue, ou des espaces de dialogue avec les enquêteurs ou les magistrats sous la foi du palais, contribue à l’appréciation des suites envisageables.

Enfin, l’absence de contradictoire pendant les investigations conduit l’avocat pénaliste, avec l’aide des moyens d’enquête interne de plus en plus sophistiqués, à tenter d’anticiper les hypothèses de travail qui peuvent sous-tendre les investigations, la stratégie présidant à celles-ci, et à cibler les éléments que le ministère public inscrirait dans la construction d’un réquisitoire en cas de procès. T