La fin de l’effet suspensif des jugements de première instance : une fausse bonne idée ?
L’une des mesures phares de la réforme de la procédure civile issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 fut sans aucun doute de signer la fin de l’effet suspensif de l’appel des jugements de première instance. Le nouvel article 514 du code de procédure civile issu de la réforme dispose désormais que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire, à moins que la loi, ou la décision rendue, n’en dispose autrement. Cette révolution a pour objectif de donner plus d’efficacité aux décisions de première instance et d’éviter les appels dilatoires encombrant inutilement des cours d’appel déjà engorgées. La nécessité de lutter contre l’allongement des délais de justice, déjà déconnectés de la réalité vécue par le justiciable, sous-tend la volonté du législateur.
Toutefois, l’enfer est pavé de bonnes intentions, et ce sont les plus faibles qui voient leurs droits restreints. En effet, faute d’exécution du jugement par la partie perdante, son adversaire pourra demander la radiation de l’affaire jusqu’à complète exécution. Poursuivre l’appel nécessite donc d’exécuter, paralysant le plaideur qui ne serait pas en mesure de le faire, ou générant une situation potentiellement irréversible décourageant la poursuite de l’appel.
Les deux années écoulées depuis la réforme montrent bien des situations inextricables ainsi créées. Bien sûr, il demeure possible d’obtenir sous certaines conditions, devant le Premier président de la cour d’appel, la suspension de l’exécution provisoire du jugement. Toutefois, à la traditionnelle condition tenant à l’existence de « conséquences manifestement excessives » que risquerait d’entraîner l’exécution provisoire, l’article 514-3 du code de procédure civile ajoute désormais une condition tenant à l’existence d’un « moyen sérieux d’annulation ou de réformation » du jugement. Or, la jurisprudence montre déjà différentes interprétations de cette notion vague.
Ainsi, le Premier président de la cour d’appel de Grenoble définit le moyen sérieux comme celui qui, « en violation manifeste d’un principe fondamental de procédure ou d’une règle de droit, serait retenu par la cour d’appel comme moyen d’infirmation de la décision de première instance sans contestation sérieuse sur le fond »1. Une telle définition renvoie à un moyen présentant une certaine évidence, ce qui dépasse très largement tant la lettre du texte, que la volonté du législateur.
Le Premier président de la cour d’appel de Lyon s’est montré plus raisonnable en retenant la définition suivante : « un moyen sérieux est un moyen suffisamment consistant pour mériter d’être allégué ou soutenu, pris en considération et avoir des chances d’être retenu après discussion et réflexion »2. Autrement dit, un moyen sérieux est celui qui présente des chances raisonnables de succès. Il s’agit en définitive de vérifier que l’appel n’est pas dilatoire. Quoi qu’il en soit, le Premier président de la cour d’appel examinera donc le fond du dossier pour apprécier le sérieux de l’appel. Si son jugement est négatif, l’appelant devra non seulement s’exécuter, mais ensuite plaider son dossier devant la cour, alors qu’il aura déjà été estimé que ses chances ne sont pas sérieuses, ce qui représente un handicap non négligeable.
Finalement, cette réforme risque d’instaurer, en pratique, un filtre à la procédure d’appel : s’il veut faire appel, le plaideur devra payer ou, à défaut de pouvoir le faire, démontrer le sérieux de son appel. Inévitablement, c’est l’accès au double degré de juridiction qui se voit ici restreint, alors que le droit à voir rejuger son cas est la garantie d’une bonne justice. On ne devrait donc y toucher que d’une main tremblante, d’autant qu’il n’est pas certain que cela contribue véritablement au désengorgement des cours d’appel, car c’est désormais la juridiction du Premier président de la cour qui est prise d’assaut.