La contractualisation des litiges d’investissement
L’ arbitrage d’investissement repose sur le postulat selon lequel les investissements étrangers doivent être protégés, car ils jouent un rôle clé dans le développement économique des États. La Convention de Washington de 1965 souligne ainsi, dans son préambule, « la nécessité de la coopération internationale pour le développement économique et le rôle joué dans ce domaine par les investissements privés internationaux ».
Dans cette optique, les États ont conclu des traités d’investissement offrant aux investisseurs certaines garanties et protections. À ce jour, plus de 2000 traités bilatéraux (TBI) ont été conclus, la majorité prévoyant le recours à l’arbitrage afin de résoudre les différends pouvant naître entre l’État hôte de l’investissement et un investisseur.
Toutefois, depuis quelques années, les critiques à l’égard de ce système n’ont fait que croître, tant de la part des États que de la part des investisseurs. Ces critiques portent principalement sur le caractère ambigu et incertain des protections substantielles que les traités contiennent, et des interprétations divergentes voire contradictoires que les tribunaux arbitraux en ont fait. La définition même de la notion d’investissement n’est toujours pas consensuelle et nul ne semble s’accorder sur ce que recouvrirait la notion de « traitement juste et équitable ». Ces standards jadis sacro-saints ne seraient plus que de simples slogans, loin de véritables règles juridiques.
Ces critiques se sont traduites par une certaine méfiance, pour ne pas dire défiance, à l’égard du système. D’une part, de nombreux traités ont été dénoncés. D’autre part, et surtout, l’arbitrage d’investissement fondé non plus sur un traité, mais un contrat, connaît quant à lui un regain d’intérêt. Il suffit de consulter les récentes statistiques de la Chambre de commerce internationale (CCI) pour constater cette renaissance de l’arbitrage contractuel impliquant des personnes morales de droit public. En 2023, 16 % des nouvelles affaires ont impliqué un État ou une entité étatique, et seulement 2 de ces nouvelles affaires ont été introduites sur le fondement d’un traité d’investissement. L’institution juridique du contrat et les obligations qui en découlent sont en effet beaucoup plus précises que les standards des traités de protection des investissements.
La Cour internationale d’arbitrage de la CCI, l’institution qui a administré et administre le plus grand nombre d’arbitrages commerciaux internationaux impliquant des personnes morales de droit public, a ainsi adopté toute une série de règles et de pratiques afin de permettre un meilleur équilibre entre la partie privée et la personne morale de droit public en litige. Deux récentes dispositions du Règlement CCI de 2021, bien qu’applicables aux arbitrages fondés sur un traité uniquement, méritent une attention particulière : il s’agit de l’article 13(6) qui consacre la neutralité des arbitres en prévoyant qu’aucun des arbitres ne peut être de la nationalité des parties à la procédure, et de l’article 29(6)(c) qui exclut l’arbitrage d’urgence. Par ailleurs, de nombreuses autres règles et pratiques ont permis à l’arbitrage d’investissement contractuel de devenir florissant. C’est le cas par exemple de la règle instaurant la désignation de l’arbitre unique ou du président du tribunal directement par la Cour lorsqu’est impliquée une personne morale de droit public (article 13(4)), garantissant la compétence d’arbitre désigné, ou encore de la mise en place de comités spéciaux pour examiner les projets de sentences rendues dans des affaires impliquant des États ou entités étatiques (appendice 1, Article 5(1)(c)).
L’Institut du droit des affaires internationales de la CCI et l’Organisation des Nations unies pour le droit international travaillent, pour leur part, sur l’élaboration d’un modèle de contrat d’investissement. Selon UNIDROIT, ce projet « sur les contrats d’investissement internationaux vise à développer des orientations pour favoriser la modernisation et la standardisation des contrats d’investissement internationaux ».
En somme, si les traités de protection des investissements sont sur le déclin, les contrats internationaux impliquant des personnes morales de droit public et leurs clauses compromissoires sont, quant à eux, plus que jamais en vogue. T
E. Silva Romero