Connexion

La cession des droits d’auteur à titre gratuit – L’acte notarié comme formalisme ad validitatem ?

Par Antoine Kibler, avocat fondateur du cabinet Kibler Avocat

La doctrine, du fait de décisions récentes en matière de cession de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit, semble tendre vers la reconnaissance de l’acte notarié comme constituant une condition de validité de ces cessions, vues comme des donations. Cette analyse est-elle applicable à tous les droits de propriété intellectuelle, notamment aux droits d’auteur ?

Les analyses récentes semblent vouloir généraliser l’acte notarié comme formalisme ad validitatem des cessions à titre gratuit des droits de propriété intellectuelle. Or, ces interprétations, souvent formulées sur la base de décisions rendues en matière de marques semblent être contestables s’agissant des droits d’auteur1.

Rappels de principe

Une œuvre protégée confère à son auteur des droits patrimoniaux et moraux, seuls les premiers étant cessibles2. Si la cession à titre gratuit des droits d’auteur est expressément prévue par l’article L.122-7 du code de la propriété intellectuelle, la validité d’une telle cession doit faire l’objet d’un écrit depuis 2016.

Le régime de la donation – un régime inapplicable aux droits d’auteur

L’article 894 du code civil définit la donation par trois conditions : (1) acte intervenant entre vifs ; (2) un dépouillement irrévocable du donateur et (3) et l’acceptation du donataire. Un acte qualifiable de donation doit alors être passé par acte notarié (article 931 du code civil).

Deux obstacles textuels posés par l’article 894 s’opposent à l’acte notarié en matière de cession à titre gratuit des droits d’auteur. Tout d’abord, la cession des droits d’auteur doit par nature respecter une durée déterminée3. À ce titre, l’auteur d’une œuvre protégée, qui ne peut se dessaisir de ses droits moraux ne peut également se dessaisir de manière irrévocable de ses droits patrimoniaux. Bien que la pratique contractuelle permette de contourner cela en prévoyant des cessions dites « pour la durée légale des droits d’auteur », la nécessité de prévoir ce mécanisme contractuel du fait de l’impossibilité de prévoir une cession irrévocable justifie d’autant plus l’impossible application de l’article 931 du code civil.

En outre, le simple fait qu’une cession de droits d’auteur puisse être consentie à titre non exclusif permet également de contester l’hypothèse d’un dessaisissement irrévocable. En tout état de cause, il est aussi contestable qu’au vu de l’emploi des termes « entre vifs », une cession bien qu’à titre gratuit au profit d’une personne morale ne devrait encore moins être soumise au formalisme de l’acte notarié.

L’absence d’intention libérale

L’intention libérale est également posée comme condition jurisprudentielle de la qualification de la donation. En droit d’auteur, la jurisprudence a d’ores et déjà eu l’occasion par le passé d’exclure la qualification de donation en l’absence d’intention libérale4. La cession des droits d’auteur à titre gratuit est en pratique très rarement consentie par pure intention libérale.

En effet, une telle cession est bien souvent prévue en l’absence de la possibilité de déterminer une rémunération proportionnelle et/ou encore dans l’hypothèse où l’exploitation des droits cédés amplifierait la visibilité de l’auteur.

En outre, la distinction bien souvent oubliée en matière de commande d’œuvres, entre la rémunération versée au titre de la réalisation de l’œuvre et celle devant être perçue au titre de la cession des droits, permet également d’exclure toute intention libérale en matière de commande d’œuvres pour laquelle seuls les droits d’exploitation peuvent être cédés gratuitement.

Un régime légitimement inapplicable
au vu des intérêts en cause

Enfin, il paraîtrait illégitime d’imposer aux auteurs les coûts du formalisme de l’acte notarié et encore moins de devoir imposer à des cocontractants qui peinent parfois à valoriser à juste titre le travail créatif, des frais supplémentaires, qui impacteront en défaveur les auteurs dans leurs négociations.

Au vu des obstacles précités, si la cession des droits d’auteur à titre gratuit devait se voir imposer le formalisme de l’acte notarié, la preuve d’une intention libérale certaine devrait être rapportée et ainsi rendre applicable ce formalisme à des hypothèses de cession particulièrement résiduelles. T

Notes

(1) TGI, 8 février 2022, n° 19/14142 ; cour d’appel de Paris, 13 mars 2024, n° 22/05440 ; TJ de Lyon, 12 avril 2023, n° 23/505949.

(2) Article L121-1 du code de la propriété intellectuelle.

(3) TGI Paris, 24 février 2017, n°14/16145.

(4) Paris 1er juillet 1998, n° 98-19-990, PICASSO, Rida 4/1999.390.

A. Kibler

La cession des droits d’auteur à titre gratuit – L’acte notarié comme formalisme ad validitatem ?

Par Antoine Kibler, avocat fondateur du cabinet Kibler Avocat 

L

a doctrine, du fait de décisions récentes en matière de cession de droits de propriété intellectuelle à titre gratuit, semble tendre vers la reconnaissance de l’acte notarié comme constituant une condition de validité de ces cessions, vues comme des donations. Cette analyse est-elle applicable à tous les droits de propriété intellectuelle, notamment aux droits d’auteur ?

Les analyses récentes semblent vouloir généraliser l’acte notarié comme formalisme ad validitatem des cessions à titre gratuit des droits de propriété intellectuelle. Or, ces interprétations, souvent formulées sur la base de décisions rendues en matière de marques semblent être contestables s’agissant des droits d’auteur1.

Rappels de principe

Une œuvre protégée confère à son auteur des droits patrimoniaux et moraux, seuls les premiers étant cessibles2. Si la cession à titre gratuit des droits d’auteur est expressément prévue par l’article L.122-7 du code de la propriété intellectuelle, la validité d’une telle cession doit faire l’objet d’un écrit depuis 2016.

Le régime de la donation – un régime inapplicable aux droits d’auteur

L’article 894 du code civil définit la donation par trois conditions : (1) acte intervenant entre vifs ; (2) un dépouillement irrévocable du donateur et (3) et l’acceptation du donataire. Un acte qualifiable de donation doit alors être passé par acte notarié (article 931 du code civil).

Deux obstacles textuels posés par l’article 894 s’opposent à l’acte notarié en matière de cession à titre gratuit des droits d’auteur. Tout d’abord, la cession des droits d’auteur doit par nature respecter une durée déterminée3. À ce titre, l’auteur d’une œuvre protégée, qui ne peut se dessaisir de ses droits moraux ne peut également se dessaisir de manière irrévocable de ses droits patrimoniaux. Bien que la pratique contractuelle permette de contourner cela en prévoyant des cessions dites « pour la durée légale des droits d’auteur », la nécessité de prévoir ce mécanisme contractuel du fait de l’impossibilité de prévoir une cession irrévocable justifie d’autant plus l’impossible application de l’article 931 du code civil.

En outre, le simple fait qu’une cession de droits d’auteur puisse être consentie à titre non exclusif permet également de contester l’hypothèse d’un dessaisissement irrévocable. En tout état de cause, il est aussi contestable qu’au vu de l’emploi des termes « entre vifs », une cession bien qu’à titre gratuit au profit d’une personne morale ne devrait encore moins être soumise au formalisme de l’acte notarié.

L’absence d’intention libérale

L’intention libérale est également posée comme condition jurisprudentielle de la qualification de la donation. En droit d’auteur, la jurisprudence a d’ores et déjà eu l’occasion par le passé d’exclure la qualification de donation en l’absence d’intention libérale4. La cession des droits d’auteur à titre gratuit est en pratique très rarement consentie par pure intention libérale.

En effet, une telle cession est bien souvent prévue en l’absence de la possibilité de déterminer une rémunération proportionnelle et/ou encore dans l’hypothèse où l’exploitation des droits cédés amplifierait la visibilité de l’auteur.

En outre, la distinction bien souvent oubliée en matière de commande d’œuvres, entre la rémunération versée au titre de la réalisation de l’œuvre et celle devant être perçue au titre de la cession des droits, permet également d’exclure toute intention libérale en matière de commande d’œuvres pour laquelle seuls les droits d’exploitation peuvent être cédés gratuitement.

Un régime légitimement inapplicable
au vu des intérêts en cause

Enfin, il paraîtrait illégitime d’imposer aux auteurs les coûts du formalisme de l’acte notarié et encore moins de devoir imposer à des cocontractants qui peinent parfois à valoriser à juste titre le travail créatif, des frais supplémentaires, qui impacteront en défaveur les auteurs dans leurs négociations.

Au vu des obstacles précités, si la cession des droits d’auteur à titre gratuit devait se voir imposer le formalisme de l’acte notarié, la preuve d’une intention libérale certaine devrait être rapportée et ainsi rendre applicable ce formalisme à des hypothèses de cession particulièrement résiduelles. T

Notes

(1) TGI, 8 février 2022, n° 19/14142 ; cour d’appel de Paris, 13 mars 2024, n° 22/05440 ; TJ de Lyon, 12 avril 2023, n° 23/505949.

(2) Article L121-1 du code de la propriété intellectuelle.

(3) TGI Paris, 24 février 2017, n°14/16145.

(4) Paris 1er juillet 1998, n° 98-19-990, PICASSO, Rida 4/1999.390.

KIBLER AVOCAT