Justice climatique : les limites de l’action en responsabilité civile délictuelle
Les juridictions sont régulièrement saisies d’actions visant à engager la responsabilité civile délictuelle d’États ou d’entreprises, fondées sur le comportement imprudent ou négligent de ces derniers. En témoignent les récentes décisions rendues par les juridictions néerlandaises et belges (cf. LJA 1493). Particulièrement innovantes quant à l’interprétation qu’elles font du droit commun de la responsabilité civile, leur portée demeure toutefois limitée, faute de sanction mise en œuvre. La création d’outils juridiques spécifiquement adaptés à la lutte contre le dérèglement climatique apparaît donc nécessaire.
Après les condamnations de l’État néerlandais, puis du groupe pétrolier Shell, à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre sur le fondement de l’article 162 du Code civil néerlandais, (équivalent de notre article 1240), le tribunal de Bruxelles a condamné le 17 juin dernier l’État et les régions fédérales belges aux motifs que, « dans la poursuite de leur politique climatique », les défendeurs ne se comportaient pas « comme des autorités normalement prudentes et diligentes, ce qui constitue une faute au sens de l’article 1382 du Code civil », texte dont la lettre est rigoureusement identique à l’ancien article 1382 du Code Napoléon, devenu 1240.
Ces décisions constituent des avancées juridiques majeures en ce qu’elles transforment le droit commun de la responsabilité civile en outil de lutte contre le dérèglement climatique. Toutefois, elles font également apparaître les limites de l’outil.
En premier lieu, les décisions rendues n’ont débouché sur aucune sanction concrète, mais seulement sur des injonctions faites aux défendeurs de modifier leur comportement.
Et pour cause, la responsabilité civile délictuelle revêt une fonction réparatrice.
La sanction de l’auteur d’un comportement fautif ne peut donc intervenir que postérieurement à la réalisation du dommage qui en résulte, cette sanction consistant à réparer intégralement celui-ci.
Or, l’enjeu n’est pas de réparer les conséquences à venir du dérèglement climatique, mais de prévenir sa survenance.
En second lieu, ces décisions révèlent aussi les difficultés auxquelles seront confrontées les juridictions qui devront statuer sur des demandes de réparation de dommages ayant pour fait générateur le défaut de réduction, par un État ou une entreprise, de ses émissions de gaz à effet de serre.
Démontrer que la destruction d’un bien engendrée par la submersion d’un littoral résulte, de manière certaine, des carences de tel État ou entreprise dans la mise en œuvre de sa politique climatique semble pour le moins difficile.
Répartir la charge finale de la dette entre les différentes parties condamnées, à proportion de leur rôle contributif dans la réalisation du dommage, le semble également.
Devant le tribunal de Bruxelles, les demandeurs, cherchant à s’affranchir des contraintes liées aux conditions de mise en œuvre de la responsabilité civile délictuelle, ont tenté de recourir au mécanisme de l’astreinte, faisant ainsi peser sur les défendeurs la menace d’une sanction dont le principe et le quantum sont indépendants de la réalisation d’un dommage.
Les juges ont toutefois rejeté cette demande.
La responsabilité civile délictuelle apparaît donc, en raison des conditions de sa mise en œuvre, comme peu adaptée pour lutter contre le dérèglement climatique.
En outre, dévoyer des leviers juridiques existants, tels que l’astreinte, pour sanctionner des acteurs refusant d’adopter des politiques (publiques ou d’entreprise) compatibles avec les objectifs de l’accord de Paris ne semble pas satisfaisant.
La réduction du volume des émissions de gaz à effet de serre passera nécessairement par la création de nouvelles normes, dont le non-respect devra faire l’objet de sanctions dissuasives, dans le respect du principe de légalité des délits et des peines.