Jurisprudence : la vigilance de la banque ne fait pas d’elle un assureur anti-fraude (Cass.com, 21 septembre 2022)
Par son arrêt du 21 septembre 2022, la Cour de cassation rappelle dans un attendu limpide que les obligations de vigilance des banques ne peuvent être invoquées en soi pour fonder des demandes indemnitaires d’un client confronté à des pertes financières consécutives à des agissements frauduleux. Une telle solution ne peut être qu’approuvée : les obligations de vigilance des banques sont distinctes de leurs obligations contractuelles à l’égard des clients, ces deux séries d’obligations poursuivant des objectifs différents, sauf à dénaturer les premières au profit d’une recherche d’assurance indue.
Alors que les propositions financières et les cryptoactifs douteux pullulent, après une perte financière, la tentation du client à rechercher la responsabilité de sa banque intermédiaire est toujours aussi grande. Contre cette recherche d’assurance rétrospective, l’arrêt du 21 septembre 2022 rappelle une position classique par un attendu de principe très clair : « la victime d’agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l’inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées [Tracfin] pour réclamer des dommages-intérêts à l’organisme financier » (Cass.com, 21 septembre 2022, n° 21-12.335).
En l’espèce, pour pouvoir autoriser dix-huit virements d’un montant total de près de 3 M€ pour la souscription de valeurs mobilières spéculatives de sociétés situées notamment en Roumanie, Bulgarie et à Malte, la banque était du reste allée au-delà de son obligation de vigilance en effectuant des recherches sur l’identité des organismes bénéficiaires des virements, alertant son client et sollicitant de ce dernier une décharge de responsabilité : lequel client persistait dans ses souhaits, signait la décharge, pour ensuite rechercher une indemnisation des pertes subies. En droit, les victimes d’escroqueries ne peuvent se retourner contre les banques en invoquant un défaut à leurs obligations de vigilance. Seul l’État est créancier de ces obligations d’intérêt général.
Leur non-respect est exclusivement, et parfois lourdement, sanctionné par des poursuites disciplinaires ou professionnelles engagées par les autorités de régulation et de supervision bancaires, AMF et ACPR. Corrélativement, un éventuel manquement à ses obligations régulatrices des banques ne peut pas être constitutif – à lui seul - d’une faute contractuelle ouvrant droit à indemnisation. Par cet arrêt, la Cour de cassation rejette donc la demande en responsabilité au titre de l’article 1147 du code civil (ancien) des clients de la banque.
D’une part, la Cour rappelle qu’aucun défaut d’information ne peut exister au titre d’une non-divulgation d’une déclaration de soupçon dont l’existence ou le contenu ne peut être divulguée à quiconque – hors Tracfin - sous peine de sanctions pénales. D’autre part, les informations obtenues dans le cadre de ces obligations ne servent qu’à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, à l’exclusion de tout autre usage. Ces obligations ont une finalité systémique – d’intérêt général - qui serait fragilisée, dans leur essence et leur portée même, si un client déçu pouvait s’en prévaloir pour rechercher l’indemnisation de son seul intérêt privé. Cette jurisprudence confirme la solution établie de longue date par la Cour de cassation (Cass.com, 28 avril 2004 - n° 02-15054) qui avait jugé que « l’obligation de vigilance imposée aux organismes financiers en application de l’article susvisé n’a pour seule finalité que la détection de transactions portant sur des sommes en provenance du trafic de stupéfiants ou d’activités criminelles organisées ». Il s’en déduisait déjà qu’un éventuel manquement à cette obligation ne pouvait fonder une action en indemnisation de la victime d’agissements frauduleux. L’arrêt du 21 septembre 2022 en tire les conséquences dans une formulation générale limpide.