Blockchain : les avocats sont-ils prêts ?
Tout le monde en parle : Bitcoin, technologie blockchain, cryptomonnaie, initial coin offering (ICO). Pour autant, cela ne surprendrait pas que nous soyons encore une majorité à ne pas savoir définir la blockchain, le terme étant devenu familier récemment. Selon l’image utilisée par le mathématicien Jean-Paul Delahaye, cette technologie basée sur la cryptographie est « un très grand cahier, que tout le monde peut lire librement et gratuitement, sur lequel tout le monde peut écrire, mais qui est impossible à effacer et indestructible » (1).
Internet et les technologies mobiles ont affecté la pratique des avocats et les exigences de leurs clients. Quels seraient les impacts de la blockchain sur le secteur juridique ?
Impact sur les conseils juridiques – Dans le sillage de ce changement technologique, les entreprises se tournent vers leur avocat pour solliciter des conseils juridiques sophistiqués liés à l’utilisation de la technologie blockchain, notamment dans leurs pratiques commerciales.
L’avocat se doit d’alerter ses clients sur certaines pratiques facilitées par cette technologie, par exemple, en droit de la concurrence : l’information écrite dans la blockchain est ouverte et accessible par tous ses utilisateurs qui possèdent une copie identique de tous les blocs et opérations effectuées. L’échange d’informations sensibles, notamment sur les prix, pourrait être facilité par la blockchain, créant un risque de collusion entre participants. L’avocat devra mettre en garde les entreprises sur cette nouvelle forme possible d’entente.
On peut aussi anticiper l’intérêt qu’auront les autorités de concurrence sur ces échanges 2.0 et l’impact de cette technologie ne sera pas à négliger dans le cadre des programmes de clémence. De nombreux renseignements et informations sur l’entente doivent habituellement être fournis par le demandeur à la clémence. La blockchain pourrait faciliter l’accès à un flux de données sur les opérations passées et en cours relevant de l’entente présumée.
Impact sur les contrats – La blockchain Ethereum permet l’utilisation de smart contracts, des programmes autonomes qui exécutent automatiquement les termes du contrat (ex. paiement, transfert de propriété) sur constat de la réalisation d’une condition préprogrammée. L’exécution de ce contrat intelligent – qui reste un programme informatique – doit refléter l’intention des parties et les obligations du contrat au sens juridique du terme, nécessitant de « le faire rédiger, auditer et valider par une personne en capacité de le faire » (2), comme un avocat et un développeur travaillant de concert.
L’avocat, tiers de confiance 2.0 ? – Cette technologie n’est pas encore considérée comme « mature » et reste éloignée du grand public, mais son application aux entreprises se développe. Quelle conséquence directe pour les avocats ? La profession devra s’adapter en intégrant les cas d’usages permis. L’UJA a déjà appelé à créer une blockchain privée réservée aux avocats pour « allier la technologie avec la déontologie de la profession » et « aller vers une nouvelle génération d’actes contresignés par avocat » (3). Les caractéristiques de la blockchain intéressent les avocats, en termes de conservation, de partage de données, de preuve ou d’accompagnement de leurs clients pour répondre aux contraintes réglementaires (obligations déclaratives, autorisations, etc.) liées à leur activité (4).
Au-delà de l’activité de leurs clients, nous pensons que les cabinets d’avocats eux-mêmes, leurs modèles de développement et de management devront s’adapter à ce changement, ce qui implique de l’anticiper, par exemple dans les profils recrutés. À l’intersection du droit et de la technologie, il existerait un besoin de professionnels du droit comprenant à la fois le droit positif et la blockchain. Code is law.
(1) Cité in : https://blockchainfrance.net/decouvrir-la-blockchain/c-est-quoi-la-blockchain/ ; V. également Union des Jeunes Avocats de Paris, rapport « Blockchain et avocats », 6 juin 2017, p. 1.
(2) L. Leloup, Blockchain : La révolution de la confiance : Éd. Eyrolles 2017, p. 176.
(3) E. Le Quellenec, vice-président de l’UJA de Paris, cité in La blockchain, un terrain à explorer pour les professionnels du droit, LJA Le Mag n° 50 septembre/octobre 2017.
(4) V. sur ce sujet : « Une direction juridique à l’épreuve de la blockchain », interview de Bruno Massot, Le Village de la Justice, 25 janvier 2018