Harcèlement au travail et alerte : le courage des dirigeants
En France, l’absentéisme pour raisons psychologiques a augmenté de 60 % en dix ans, Cette situation pèse lourdement sur les finances publiques, les risques psychosociaux représentant un coût abyssal : jusqu’à 20 % des dépenses de la branche AT/MP de la sécurité sociale. Au-delà de l’impact sur la santé mentale de notre société, le coût pour l’entreprise est énorme : indemnités prud’homales élevées, honoraires d’avocats, temps et énergie consacrés à ces dossiers, détérioration du climat social qui entraine notamment d’autres actions en justice par ressentiment, baisse de productivité, difficultés de recrutement…
Le dirigeant et le CSE, responsables en cas de harcèlement moral
Selon l’article L.4121-1 du code du travail, l’employeur est tenu d’assurer la santé physique et mentale de ses salariés. En matière de harcèlement moral, cette obligation est renforcée par l’article L.1152-4.
Par ailleurs, le Comité Social et Économique (CSE) joue un rôle clé. En vertu de l’article L.2312-59, il dispose d’un droit d’alerte spécifique en cas d’atteinte aux droits des personnes.
Que faire en cas d’alerte ?
une enquête interne est toujours nécessaire, même a minima.
L’enquête est obligatoire et très utile, que l’alerte émane du CSE ou d’un salarié, même sans l’intervention d’un tiers. L’objectif de l’enquête triple : déterminer la matérialité des faits, comprendre leur contexte, pouvoir démontrer sa bonne foi en cas de contentieux.
Si d’aventure l’alerte s’avérait d’emblée fantasmagorique ou de mauvaise foi, une enquête a minima peut être menée et une réponse écrite sur la base de ces premières investigations doit être apportée à l’auteur de l’alerte.
Dans une décision récente du 12 juin 2024 (Cass. soc. 12-6-2024, n° 23-13.975), la Cour de cassation a approuvé la cour d’appel d’avoir retenu que l’employeur ayant pris les mesures suffisantes de nature à préserver la santé et la sécurité de la salariée, ce dernier n’avait pas manqué à son obligation de sécurité nonobstant l’absence d’enquête interne.
Certains auteurs interprètent cette décision comme dédouanant l’entreprise de mener une enquête dès lors qu’elle est en mesure de démontrer qu’elle a mené d’autres actions en vue de protéger ses salariés.
Nous sommes toutefois beaucoup plus réservés, les faits de l’espèce expliqueraient à notre sens cette décision : aucune alerte n’avait été présentée par le CSE, la salariée était DRH, le harcèlement n’a pas été démontré et a été dénoncé un mois après son arrêt maladie, l’employeur avait répondu à ses sollicitations.
Une alerte comme symptôme
d’une dette sociale latente
Les signalements de harcèlement sont souvent le révélateur d’une dette sociale plus profonde au sein des entreprises. Derrière chaque alerte, on retrouve fréquemment :
un déficit de leadership ;
une surcharge de travail ;
l’absence de prévention et de mécanisme d’alerte ;
l’absence de dialogue social
Ces symptômes renvoient à une vérité inconfortable : le harcèlement n’est pas un simple dysfonctionnement. Il est souvent l’expression d’une organisation à bout de souffle.
Recommandations pratiques : le courage
de transformer l’alerte en opportunité
Les dirigeants ne peuvent se contenter d’une gestion purement défensive. Il faut se saisir de cette alerte avec courage et efficacité :
1.
mener une enquête rigoureuse et impartiale : il est impératif d’agir rapidement. Assurez-vous de recueillir des témoignages de manière confidentielle et transparente, sur des supports écrits, faites un rapport. Nota : il est déconseillé que votre conseil habituel mène cette enquête pour des questions d’impartialité et de déontologie évidentes. En revanche, il est très utile que l’enquête soit menée par un avocat compte tenu de ce qu’il est autorisé à qualifier juridiquement les faits et de la confidentialité du rapport notamment en cas d’enquête pénale ;
2.
prendre des décisions fortes : s’il est prouvé, le harcèlement doit entraîner des sanctions immédiates, souvent un licenciement pour faute grave, même s’il s’agir d’un manager performant et/ou influent. L’impunité est un poison ;
3.
former et sensibiliser : développez des réels programmes de formation pour vos équipes, en visant notamment le middle-management ;
4.
se questionner : une alerte doit être l’occasion d’un bilan structurel.
Le courage est une vertu managériale essentielle : c’est le courage de regarder la vérité en face, de sanctionner les comportements déviants, mais surtout de s’interroger sur le modèle managérial de l’entreprise et de se transformer.