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Cryptomonnaies : une nouvelle catégorie d’actifs saisissables ?

Par Jordan Illouz, counsel, cabinet ADVANT Altana et Benjamin Allouch, expert juridique ChatGPT et IA générative

Refuge contre l’inflation, outil de diversification des investissements, ou porte d’entrée pour l’usage des technologies du web 3, les cryptomonnaies – qui appartiennent à la famille des cryptoactifs – sont entrées dans les foyers français : 1 français sur 8 en détient en 2024, soit 6,5 millions d’investisseurs, correspondant à une hausse de 28 % par rapport à l’année 20231.

Les entreprises réalisent près d’un tiers du volume des transactions sur Coinhouse, l’une des principales plateformes d’échange et de conservation de cryptomonnaies2. Les créanciers s’intéressent donc de près à ce nouvel actif saisissable du patrimoine de leurs débiteurs, personnes physiques ou entreprises.

L’agence de l’État chargée de la gestion et du recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) procède déjà à la vente aux enchères de cryptomonnaies confisquées dans le cadre de procédures pénales afin, notamment, d’indemniser les victimes d’infractions. Dans le cadre d’un litige civil ou commercial, la saisie de cryptomonnaies – qui sont, en droit, des biens meubles incorporels – est juridiquement possible, mais des difficultés doivent être surmontées à chacune des étapes de la saisie.

1re étape : Comment savoir que son débiteur détient des cryptomonnaies ?

Les cryptomonnaies sont détenues sur la blockchain à partir de l’adresse publique pseudonyme de leurs détenteurs, qui accèdent à leurs comptes de cryptomonnaies à partir d’une clé privée. Il n’existe pas de registre répertoriant les portefeuilles de cryptomonnaies, sur le modèle du fichier des comptes bancaires (FICOBA). Dès lors, soit, par chance, le débiteur a spontanément indiqué au créancier – au gré d’une relation personnelle ou de relations d’affaires – détenir des cryptomonnaies, soit le créancier doit, pour le savoir, tenter de faire identifier l’adresse publique de son débiteur par un prestataire spécialisé (ex : Chainalysis) ou de s’adresser aux plateformes d’échanges de cryptomonnaies, en particulier celles enregistrées auprès de l’Autorité des marchés financiers en tant que prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) (ex : Binance, Coinhouse), qui hébergeraient la clé privée du détenteur.

2e étape : Comment savoir où sont détenues ces cryptomonnaies ?

En général, pour qu’une saisie puisse être pratiquée facilement et rapidement, il est préférable que les actifs à saisir soient situés sur le territoire français ou sur celui d’un État membre de l’Union Européenne. Parler de « territoire » pour les cryptomonnaies peut surprendre puisqu’elles sont détenues sur la blockchain, qui est par définition décentralisée et donc non localisable sur un territoire déterminé. Cependant, si le titulaire du compte de cryptomonnaies est situé en France ou en Europe, le créancier est susceptible de pouvoir saisir les cryptomonnaies par l’intermédiaire de la clé privée, qui peut être soit détenue directement (s’il s’agit d’une clé physique de type « Ledger »), soit hébergée auprès de plateformes d’échanges de cryptomonnaies enregistrées en France comme PSAN.

3e étape : Comment saisir concrètement les cryptomonnaies ?

Les cryptomonnaies, dont la qualification demeure discutée en droit français, ne sont pas, en l’état actuel de la jurisprudence, assimilées à des sommes d’argent. Les cryptomonnaies ne peuvent donc pas bénéficier du régime de la saisie de sommes d’argent (saisie-attribution) – qui permet d’appréhender les fonds sur le compte bancaire du débiteur – et ne pourront donc pas être transférées directement sur l’adresse publique du créancier au titre du paiement de sa créance.

Bien qu’aucune décision de justice n’ait encore validé cette analyse, la procédure la plus sécurisante juridiquement est très vraisemblablement la saisie de biens incorporels, qui s’applique traditionnellement aux parts sociales et aux valeurs mobilières. Son inconvénient majeur est qu’elle impose de faire vendre les cryptomonnaies pour permettre ensuite au créancier de percevoir le prix de vente.

Si le débiteur ne vend pas lui-même, à l’amiable, ses cryptomonnaies, le créancier engagera une vente aux enchères à l’issue de laquelle les cryptomonnaies seront vendues à un prix fixé à partir de son cours à la date de la vente (et qui peut être très différent, à la hausse comme à la baisse, du cours en vigueur lorsque la saisie a été initiée).

Si la clé privée est hébergée sur une plateforme d’échange enregistrée en France en tant que PSAN, celle-ci devrait autoriser le transfert des cryptomonnaies auprès d’un prestataire spécialisé dans la conservation d’actifs numériques agrée par l’AMF (ex : Coinhouse Custody Services), le temps que soit mis en place le processus de vente amiable ou de vente forcée.

Si la clé privée est conservée directement par le débiteur, il est nécessaire de saisir la clé privée par l’intermédiaire d’un commissaire de justice. Si le débiteur refuse de remettre la clé spontanément, le créancier peut engager une procédure relativement rapide (environ 2 à 4 mois) pour obtenir sa remise sous une astreinte (pénalités financières encourues par jour de retard). T

Notes

(1) www.bfmtv.com/crypto/un-francais-sur-huit-possede-des-cryptomonnaies-en-2024-en-hausse-de-28-sur-un-an_AN-202403190043.html

(2) www.latribune.fr/supplement/entreprises-elles-investissent-aussi-dans-les-cryptomonnaies-919074.html

J. Illouz