Covid-19 : l’arbitrage immunisé ?
Si l’heure n’est pas encore au bilan de la crise du Covid-19, un point d’étape concernant l’arbitrage international s’impose. Dès les premières manifestations de la crise, les principaux centres d’arbitrage au monde, dont la Chambre de commerce internationale (CCI), publiaient des notes d’orientation et conseils pratiques à l’attention de leurs utilisateurs, parties, conseils, et arbitres.
La plupart des cabinets d’avocats (voire même certains arbitres de renom) partageaient leur savoir-faire, en un faire-savoir généralisé.
En cette matière comme en d’autres, on a ainsi vu fleurir un nombre considérable de webinars ayant pour thème les (toujours meilleures) manières d’organiser des arbitrages virtuels, entre conseils techniques avisés et recours aux placements de produits, culminant en la publication de véritables cyber-protocoles, empruntant pour certains le nom de places d’arbitrage, tel le Seoul Protocol on Video Conferencing in International Arbitration.
Pourtant, cette prolifération, en un temps record, de check-lists à la Prévert – qui constituent aujourd’hui un magma si considérable qu’un site internet entièrement dédié à leur recensement a vu le jour – ne trahit en réalité qu’un état de fait : l’arbitrage connaissait depuis fort longtemps ces techniques.
Il est ainsi depuis longtemps admis en arbitrage, qu’un avocat londonien puisse contre-interroger à distance un témoin ou expert domicilié en Australie, devant un tribunal arbitral siégeant à Paris ou Hong-Kong.
Même le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI), qui abrite les plus grands litiges entre investisseurs et États souverains, s’est fait fort de confirmer qu’en 2019 déjà, pratiquement 60 % de ses audiences se sont tenues par visioconférence, sans préciser toutefois s’il s’agissait d’audiences exclusivement ou partiellement virtuelles.
Car c’est ici que repose la seule nouvelle contrainte liée au confinement, pendant lequel il était matériellement ou juridiquement impossible de regrouper sous un même toit à tout le moins le tribunal arbitral d’une part, ou chacune des équipes de conseils d’autre part, ajoutant une complexité pratique jamais rencontrée.
Pourtant, ici encore l’arbitrage a su s’adapter, la technologie permettant parfaitement l’organisation d’audiences virtuelles avec transcription simultanée des débats, et création de sous-espaces hermétiques facilitant les communications confidentielles entre avocats et leur client, ou entre les arbitres.
Néanmoins, il serait présomptueux d’affirmer que l’arbitrage n’a pas connu de reports d’audience.
En effet au-delà de la sacrosainte volonté des parties en la matière, qui bien souvent dicte la procédure, les habitudes, le manque de pratique et autres réticences restent encore vives.
La crainte par exemple (généralement infondée) de voir un témoin lors de son interrogatoire par la partie adverse, être discrètement influencé hors champ par la partie qui l’a présenté, figure au rang des classiques.
Plus fondamentalement, d’aucuns estiment que rien ne remplace la vérité de l’audience (physique), qui seule permettrait de « voir perler sur le front du témoin » la goutte de l’inconfort, voire du mensonge, alors que d’autres considèrent au contraire que le contrôle à distance de l’angle des caméras, permet de mieux apprécier la crédibilité d’un témoin ou la qualité du plaideur.
Ce sont en définitive souvent des considérations pratiques comme la qualité de la bande passante chez une partie, ou le décalage horaire, qui dictent les choix. Il ne saurait par exemple être question d’imposer de manière déraisonnable à un plaideur ou un arbitre de veiller toute une nuit, pour suivre d’un œil l’autre plaider à la lumière du jour.
En définitive, les parties, sous le contrôle et l’autorité des arbitres, doivent toujours veiller au respect absolu du contradictoire et de l’égalité des armes.
Passées ces réticences ou ces contraintes, et en attendant les audiences holographiques, l’arbitrage a une nouvelle fois démontré toute son agilité, pour s’adapter aux nouvelles circonstances et exigences liées à cette situation exceptionnelle.