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Contrôle des concentrations : le ciel se couvre pour les opérations non notifiables

Par Michael Cousin, associé du cabinet Ashurst

Pour déterminer si une opération est soumise au contrôle des concentrations, il ne suffira bientôt plus de savoir si elle atteint les seuils de contrôle posés par les textes européens ou nationaux. Plusieurs évolutions sont en effet à l’œuvre pour élargir la compétence des autorités de concurrence à certaines opérations non notifiables.

La première de ces évolutions concerne l’article 22 du règlement européen sur le contrôle des concentrations1. Celui-ci permet à un État membre de demander à la Commission européenne d’examiner toute concentration qui affecte le commerce entre les États membres et menace d’affecter de manière significative la concurrence sur son territoire. Peuvent ainsi être renvoyées à la Commission les concentrations qu’elle est la mieux placée pour contrôler.

Une autorité peut-elle renvoyer à la Commission une concentration qui ne franchit pas les seuils nationaux ? L’Autorité de la concurrence (« AdlC ») est de cet avis2. Quant à la Commission, elle l’a longtemps refusé avant de changer d’approche le 11 septembre dernier. De tels renvois seront acceptés à compter de mi-2021, le temps pour elle d’élaborer des lignes directrices précisant sa politique3. Cette nouvelle doctrine est en partie justifiée par la nécessité d’appréhender le rachat, par les grands acteurs du numérique et du secteur pharmaceutique, de start-ups susceptibles d’animer la concurrence mais dont le chiffre d’affaires est trop bas pour déclencher un contrôle (« killer acquisitions »).

Il ne faut pas sous-estimer l’impact de ce changement sur la sécurité juridique des entreprises. Il va en effet les obliger à analyser leurs opérations non notifiables à l’aune des critères très généraux de l’article 22, possiblement précisés par les lignes directrices de la Commission.

La question qui se pose désormais est de savoir si, en plus de cette nouvelle contrainte, les entreprises doivent se préparer à une autre évolution possible du contrôle des concentrations, à savoir la mise en place d’un contrôle ex post des opérations non notifiables.

L’AdlC y est favorable. Après avoir mis ce dispositif à l’étude en 2018, elle en a fait la proposition au gouvernement. Il lui permettrait de contrôler de sa propre initiative les opérations non notifiables mais soulevant des « préoccupations substantielles de concurrence ». Ce contrôle pourrait intervenir dans un délai de six mois à deux ans après l’opération, avec les conséquences que l’on imagine en cas d’interdiction… Comparé à ce dispositif, l’article 22 a l’avantage d’obliger les autorités nationales, puis la Commission, à se prononcer sur le renvoi dans un délai bien plus contraint, même si son point de départ, à savoir l’« information » de l’autorité nationale, donnera lieu à interprétation. Le contrôle après renvoi peut surtout intervenir avant toute réalisation de l’opération, à charge pour les entreprises d’informer l’autorité nationale suffisamment en amont.

Un contrôle ex post ne se justifie pas pour traiter les « killer acquisitions » dès lors qu’il est possible de le faire via l’article 22. Certes, il pourrait être considéré qu’un contrôle ex post demeure pertinent dans la mesure où l’article 22 ne concerne que les opérations affectant le commerce entre États membres. L’objectif ne serait alors plus d’atteindre les opérations des géants du digital ou du secteur pharmaceutique, dont les effets dépasseront probablement toujours les frontières nationales et pourront relever de l’article 22. Il s’agirait d’appréhender des opérations présentant des effets purement locaux, loin des préoccupations jusqu’ici exprimées par la Commission et l’AdlC.

Y a-t-il un « enforcement gap » à ce niveau aussi ? Si oui, nécessite-t-il vraiment la mise en place, en période de crise, d’un mécanisme aussi dommageable pour la sécurité juridique, particulièrement celle des PME ? Il importe plus que jamais de poser le bon diagnostic avant de poursuivre dans cette voie. 

Notes

1. Règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004, JOUE n° L24 du 29/01/2004, p. 1.

2. AdlC, décision n° 20-D-01 du 16 janvier 2020 relative à une pratique mise en œuvre dans le secteur de la diffusion de la télévision numérique terrestre.

3. V. le Discours prononcé par Margrethe Vestager devant l’IBA, « The future of EU merger control ».

Michaël Cousin Ashurst Contrôle des concentrations