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Contribution pour la justice économique : impacts à prévoir sur la stratégie contentieuse des entreprises

Par Pauline Daraux, associée, et Lucie Saadé-Augier, cabinet Berenice Avocats

A titre expérimental et pour quatre ans à compter du 1er janvier 2025, la loi n°2023-1059 du 20 novembre 2023 étend la compétence de 12 tribunaux de commerce, renommés « tribunaux des activités économiques » (TAE) et met en place une « participation au financement de la justice » pour certains demandeurs.

Incertitudes des praticiens

La contribution est déjà source d’interrogations.

Comment est calculée la « valeur des prétentions » pour des actions qui ne tendent pas à l’obtention d’une somme d’argent ?

Si le dispositif prévoit que les demandes incidentes (dont les demandes reconventionnelles et les demandes figurant dans des écritures ultérieures), ainsi que les frais de procédure, sont exclus de l’assiette de calcul, qu’en est-il des demandes subsidiaires ?

Lorsque le demandeur engage une action en référé puis une action au fond dans le cadre d’un même litige, la contribution sera-t-elle due deux fois ? Même question en cas de nullité de l’assignation et de nécessité de réassigner (le texte exclut le double paiement pour les seuls cas de caducité de l’assignation et de péremption d’instance).

Un impact certain et critiquable

En créant une barrière à l’accès au juge dont le montant impactera les budgets alloués à la résolution des litiges, le nouveau dispositif aura un effet sur la stratégie contentieuse des entreprises concernées, notamment sur toute décision d’initier une procédure judiciaire.

S’il s’agit de l’un des objectifs du nouveau dispositif, l’on peut se demander si celui-ci est bien calibré. Que représente la part des contentieux initiés par les entreprises visées, dans le total des contentieux soumis aux juridictions commerciales ? Et parmi ceux-ci, quelle est la part des recours dilatoires ou abusifs ?

Sans compter qu’il existe déjà des dispositifs pour lutter contre de tels recours : les articles 32-1 et 700 CPC, qui permettent de faire condamner « celui qui agit de manière dilatoire ou abusive » et d’allouer la charge des frais de procédure à la partie succombante. Pourquoi ne pas avoir plutôt envisagé une application effective de ces textes ?

Quant à l’objectif de favoriser la résolution amiable des litiges, celui-ci est-il bien servi, alors que cette résolution passe, dans bien des cas, par une assignation ?

Enfin, si le fait de faire financer la justice par ceux qui en bénéficient est très répandu chez nos voisins européens, pourquoi sacrifier, en France, l’égalité des justiciables en faisant peser une contribution aussi élevée sur un nombre limité d’entre eux ?

L’Ordre des avocats du barreau de Paris a annoncé former un recours devant le Conseil d’État. Affaire à suivre.

NDLR : Le Conseil national des barreaux et la Conférence des bâtonniers ont également annoncé avoir contesté le décret.

Dans le cadre de l’expérimentation, 12 TAE(1) sont désormais compétents, dans leur ressort, pour connaître de toutes les procédures en matière de prévention et traitement des difficultés des entreprises, quel que soit le débiteur (à l’exception des professionnels du droit).

Ces TAE expérimentent également la mise en place d’une « contribution pour la justice économique », dont l’objectif serait notamment de lutter contre les recours abusifs et dilatoires liés à une « instrumentalisation de la gratuité de la justice ».

La contribution est due, à peine d’irrecevabilité, pour toute demande initiale supérieure à 50 000 € formée devant un TAE par, notamment, une personne morale de droit privé employant plus de 250 salariés et ayant réalisé un chiffre d’affaires moyen sur les trois derniers exercices de plus de 50 M€.

Son montant est déterminé en fonction de la « capacité contributive » du demandeur et s’élève à 3 % ou 5 % de la valeur des prétentions de l’acte introductif d’instance, dans la limite de 100 000 €.

Sont exclues du dispositif les actions tendant à l’ouverture d’une procédure de prévention ou collective, la modification, rétractation ou contestation d’une ordonnance sur requête, l’interprétation ou la rectification d’une précédente décision, ou l’homologation d’une transaction.

La contribution ne sera remboursée qu’en cas de désistement d’instance ou d’extinction d’instance après un règlement amiable du différend.