Contrats à terme sur matières premières : l’AMF veille au grain
Dans une décision du 16 juillet 2018, l’AMF a condamné la filiale logistique d’un important groupe agroalimentaire à une sanction de 100 000 euros pour la manipulation du cours d’un contrat à terme de blé meunier.
Cette décision doit inciter les intervenants sur les marchés de matières premières (négociants, coopératives agricoles, agro-industries et autres groupes industriels) parfois peu sensibilisés aux abus de marché, à une plus grande vigilance. Ils doivent aussi s’assurer de la conformité de leurs opérations avec le dispositif « matières premières » issu de MIF 2 qui prévoit un nouveau régime en matière de limites des positions nettes.
L’AMF a reproché à l’opérateur mis en cause d’avoir passé au cours de plusieurs séances des ordres de vente sur le contrat à terme de blé de meunerie n° 2 négocié sur le MATIF, en usant du procédé suivant : un ordre était passé dans les dix secondes précédant la clôture, parfois à une distance très proche de la meilleure limite acheteuse. Cet ordre éphémère et non exécuté portait sur une faible quantité. Sa validité était courte car limitée à la journée même (« good-till-date »). Selon la Commission des sanctions, cette technique réduisant le bid-ask spread, caractérisait un manquement de manipulation de cours prévu, à la date des faits, à l’article 631-1 du règlement général de l’AMF à défaut de représenter un réel intérêt vendeur.
Cette décision illustre la nécessité pour les opérateurs de se sensibiliser aux risques d’enquêtes et d’abus de marché. La réglementation européenne « market abuse » ou « MAR » s’applique en effet aux opérations sur les contrats d’option, aux futures, aux swaps, aux forwards et tous autres produits dérivés relatifs à des matières premières réglés en espèces ou par livraison physique (à condition qu’ils soient négociés sur un marché réglementé, un MTF ou un OTF). Rappelons que les contrevenants s’exposent, comme leurs dirigeants, à une peine dont les plafonds sont très élevés (100 millions d’euros, décuple des avantages retirés et depuis la loi Sapin II, pour la personne morale, 15 % du chiffre d’affaires annuel total). Les mesures préventives (formation et certification AMF des équipes) sont en effet de nature à atténuer la sanction en cas de manquement. Cette récente décision de sanction de l’AMF illustre aussi l’importance d’une sensibilisation adéquate des opérateurs de marché sur l’utilisation des messageries électroniques : pour accréditer sa thèse, l’AMF s’est notamment focalisée sur trois brefs emails échangés par les opérateurs du bureau « blé ».
Les opérateurs doivent donc veiller à la conformité de leurs interventions à MAR comme aux règles édictées par les entreprises de marché elles-mêmes. Ils doivent également suivre les dispositifs prévus en matière de limites de position nette et de transparence visant à prévenir les abus et qui s’appliquent aux intervenants ou aux plateformes (déclarations journalières à l’AMF, rapports hebdomadaires sur les positions agrégées etc). Ils avaient été introduits par la loi du 26 juillet 2013 et mis en œuvre à partir de 2015 pour les instruments financiers dont le sous-jacent est une matière première agricole, afin de lutter contre la spéculation. Depuis janvier 2018 (régime MIF2), ils ont été étendus aux produits dérivés et aux contrats de gré à gré économiquement équivalents portant sur toute matière première (ex : produits agricoles, métaux, hydrocarbures, énergie etc). Une instruction de l’AMF fixe annuellement, d’après la situation du marché couvert, les valeurs de référence permettant de déterminer les limites de position pour chaque sous-jacent (colza, blé, maïs etc). Surtout, la nouvelle réglementation impose désormais aux intervenants non-financiers, c’est-à-dire ceux dont l’activité de négociation est accessoire (double test en part de marché et en poids de l’activité au sein du groupe selon la méthodologie de l’ESMA), d’effectuer annuellement une démarche auprès de l’AMF s’ils souhaitent être exemptés de ces limites de position ou d’avoir à demander un agrément d’entreprise d’investissement auprès de l’ACPR.