Confidentialité des avis des juristes en entreprise : une illustration de la nécessité d’apaiser les relations au sein des professions du droit
L’extension de la confidentialité aux juristes d’entreprise est, depuis plus de trente ans, au coeur de discussions infructueuses. L’Association Française des Juristes d’Entreprise, le Cercle Montesquieu et l’ECLA1 continuent d’oeuvrer afin de doter les juristes d’entreprise du très convoité privilège de confidentialité. Ces discussions rencontrent de nombreuses résistances chez les avocats et les magistrats. Décryptage.
Si les récents débats sur la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire ont donné à voir toute la complexité entourant le secret professionnel des avocats et son opposabilité, une chose demeure certaine : en France, seules les communications de l’avocat avec son client sont protégées et ne peuvent donc faire l’objet d’une communication dans le cadre d’un procès civil ou pénal2. Les notes internes rédigées par le juriste d’entreprise ne bénéficient donc pas de cette protection. Pour pallier ce sujet délicat, deux solutions principales se sont dégagées : la création d’un statut particulier d’avocat en entreprise, ou la confidentialité des avis juridiques.
L’avocat en entreprise, un statut qui rencontre beaucoup de résistance
Le secret professionnel français se distingue du legal privilege anglais par le mode d’attribution de la confidentialité, qui n’est pas attachée au document mais à la personne de l’avocat qui l’a rédigé3. L’idée était donc de créer un statut d’avocat en entreprise afin de permettre aux juristes d’entreprise de bénéficier du secret professionnel. Cependant, ce potentiel statut nécessiterait d’harmoniser les conditions d’accès à la profession puisque l’examen du CAPA n’est pas nécessaire pour exercer en tant que juriste d’entreprise en France alors que l’équivalent est obligatoire pour les in-house lawyers au Royaume-Uni par exemple. L’institution de ce nouveau statut supposerait également le paiement par les avocats en entreprise des cotisations ordinales et l’immixtion du bâtonnier dans la gestion des contentieux disciplinaires. La réforme serait donc profonde. En réalité, les perspectives de création d’un tel statut dans un futur proche se sont évanouies lorsque les dispositions ont été retirées de la proposition de loi déposée l’hiver dernier par le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti.
La confidentialité des avis juridiques des juristes d’entreprise, un premier jalon
nspirée de la solution adoptée par la Belgique depuis les années 2000, la proposition d’accorder la confidentialité non plus au regard de la qualité de l’auteur, mais du contenu de l’avis semble demander moins d’ajustements, puisqu’aucune réforme de la profession d’avocat ne serait nécessaire. Cependant, les magistrats français y sont farouchement opposés, pointant le risque d’entrave systématique des enquêtes et saisies. La Cour de justice de l’Union européenne abonde en ce sens, fondant la confidentialité sur le principe d’indépendance entre l’avocat et son client4. Cette jurisprudence pourrait toutefois subir un revirement en cas d’évolution législative au sein des pays de l’Union, majoritairement favorables à la confidentialité de ces avis internes5.
Une troisième solution envisageable ?
Pour certains praticiens, la solution pourrait résider dans l’institution du mécanisme de « secret juridique », consistant pour l’entreprise à confier à son avocat habituel la mission de contresigner l’avis du juriste interne afin de le « confidentialiser »6. Le mécanisme aurait pour avantage d’être opposable dans les procédures étrangères mais, outre de réelles difficultés liées à l’engagement que prendrait l’avocat sur un texte qu’il n’a pas rédigé, il ne remplit pas l’objectif des juristes d’entreprise de gagner en autonomie vis-à-vis des avocats. Ces cloisons étanches ne semblent plus être en phase avec les passerelles de plus en plus nombreuses entre les différents métiers du droit. Réfléchir à la compétitivité de la France en la matière est essentiel. Il faudra lever les craintes des uns et rassurer les suspicions des autres afin que les entreprises françaises ne soient pas les victimes collatérales.