Classes des parties affectées : le traitement des créanciers ayant de multiples qualités
Depuis l’ordonnance n°2021-1193 du 15 septembre 2021 transposant la directive européenne restructuration et insolvabilité, les classes de parties affectées se sont substituées aux comités de créanciers. La composition des classes de parties affectées relève du pouvoir de l’administrateur judiciaire (avec possibilité de recours) dans le cadre des procédures de sauvegarde et de redressement judiciaires (c.com., art. L.626-30), lequel doit veiller à assurer une communauté d’intérêt économique suffisante au sein de chaque classe.
La question du traitement des créanciers ayant de multiples qualités s’agissant de la composition des classes de parties affectées (actionnaire / obligataire / créancier chirographaire ou détenteur d’une sûreté) n’est pas abordée par l’ordonnance. Il s’agit pourtant d’une situation courante. L’enjeu est d’essayer d’anticiper les bienfaits ou risques pour une entité de porter ces qualités, afin de prévenir autant que possible, le traitement qui leur sera réservé. Au regard de la pratique et de la doctrine, deux possibilités de traitement semblent se distinguer.
L’intégration d’une partie ayant de multiples qualités dans une classe spécifique
La première possibilité serait la création de classes spécifiques pour le(s) créancier(s) disposant de multiples qualités, en raison de ses intérêts économiques distincts. Le créancier voterait sur l’adoption du plan dans cette seule classe.
En pratique, cela pourrait permettre au créancier de disposer d’un certain poids lors du vote du plan, le plan devant être voté à l’unanimité des classes et à la majorité au sein de chaque classe. Si le créancier affecté à une classe distincte est détenteur d’une créance faible, cette solution serait avantageuse pour lui. Toutefois, ce pouvoir de vote pourra être limité par le recours à l’application forcée interclasse, permettant l’adoption d’un plan malgré l’opposition d’une ou plusieurs classes dissidentes (selon qu’elles sont hors ou dans la monnaie). Il faudra garder à l’esprit que les conditions d’application de ce mécanisme seront plus contraignantes dans le cas où le créancier serait également actionnaire.
Cette première hypothèse soulèverait nécessairement la question de l’impact des qualités multiples sur le calcul du droit de vote (le recours à la pondération en fonction des qualités et créances est-il envisageable notamment ?).
L’intégration d’une partie ayant de multiples qualités dans plusieurs classes différentes
La seconde possibilité serait l’affectation dudit créancier dans chacune des classes correspondant aux qualités en jeu. Ici, le créancier voterait l’adoption du plan dans chacune des classes auxquelles il est affecté, à proportion de chacune de ses créances / capital détenu pris isolément. D’un certain point de vue, son droit de vote s’en trouverait multiplié. Cette solution permettrait par exemple, au créancier actionnaire de voter dans une classe, qui, si elle est dans la monnaie, pourrait imposer un plan via le mécanisme d’application forcée interclasse. À l’inverse cette solution aurait un effet de dispersion et ainsi de diminuer le poids du vote réparti dans les classes concernées. En effet, le créancier pourrait se trouver minoritaire dans chacune des classes. Par ailleurs cette solution pourrait révéler des conflits d’intérêts donnant lieu à des contestations de la part des autres créanciers (c.com., art. R.626-58-1).
Par conséquent, les options de traitement du créancier à qualités multiples présentent chacune leurs avantages et inconvénients, fonctions de la situation exacte du créancier. En l’absence de précision légale ou jurisprudentielle, si l’administrateur judiciaire reste libre de choisir entre ces deux modèles (sous le contrôle du juge), une insécurité juridique existe dans l’attente de la fixation de la jurisprudence.
Pour pallier une telle insécurité, il pourrait être intéressant d’agir bien en amont soit en répartissant les différentes qualités entre plusieurs entités, si cela est possible, soit notamment en prévoyant dans la documentation de financement, en cas de financement structuré, des mécanismes de subordination et / ou des clauses organisant le vote en cas de constitution de classes de parties, appelées intercreditors agreements ou exercice des droits. L’établissement d’une cartographie des créanciers / détenteurs de capitaux du débiteur pourra être utile à cet effet.