Connexion

Clarification des conditions de mise en œuvre des OVS par l’Autorité de la concurrence dans ses enquêtes

Par Par Roxane Hicheri, counsel, cabinet A&O Shearman.

Par un arrêt du 30 janvier 2024 (pourvoi n° 22-82.589), la chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée, une nouvelle et dernière fois, sur le déroulement des opérations de visite et saisie conduites par l’Autorité de la concurrence dans le cadre de ses enquêtes dans le secteur des produits électroménagers. Elle précise à cette occasion les obligations procédurales devant être respectées à l’encontre de la personne mise en cause.

Dans cette affaire, la société Whirpool avait fait l’objet en 2014 d’une opération de visite et saisie (OVS) par l’Autorité de la concurrence (l’Autorité) menée sur le fondement d’une ordonnance du juge des libertés et de la détention (JLD), elle-même fondée (notamment) sur des documents saisis dans le cadre d’OVS effectuées chez des tiers (Samsung et Fagor Brandt). Contestant la légalité de cette ordonnance, Whirpool obtient son annulation par la Cour de cassation au motif que les procès-verbaux dressés à l’occasion des OVS menées chez les tiers en question auraient dû être joints à la requête de l’Autorité, au soutien de sa demande d’ordonnance visant les locaux de Whirpool, et notifiés à Whirpool au début de la visite autorisée (crim., 13 juin 2019, pourvoi n° 17-87.364).

Sur renvoi, le premier président de la cour d’appel annule l’ordonnance du JLD visant Whirpool et les OVS subséquentes réalisées dans ses locaux, et ordonne la restitution des documents saisis. Néanmoins, sur pourvoi de l’Autorité, la Cour de cassation casse partiellement l’ordonnance d’appel, au motif que le premier président aurait dû rechercher si les seuls éléments régulièrement produits par l’Autorité ne constituaient pas des indices d’entente suffisants pour justifier les OVS (crim., 11 août 2021, pourvoi n° 20-84.591).

C’est donc sur nouveau renvoi que le premier président de la cour d’appel valide finalement l’ordonnance du JLD de 2014. Whirpool estimant toujours que les documents saisis, prétendument incriminants, n’avaient pas été notifiés régulièrement dès le début de la procédure à son encontre, exerce un pourvoi devant la Cour de cassation, dont l’arrêt rendu en janvier 2024 fait l’objet du présent commentaire.

Mettons fin au suspense dès à présent : la Cour de cassation confirme, elle aussi, la régularité de l’ordonnance initiale du JLD et des OVS menées par l’Autorité dans les locaux de Whirpool.

Elle en profite néanmoins pour clarifier les règles encadrant les personnes mises en cause dans le cadre d’OVS menées par l’Autorité et relève, à ce titre, les erreurs commises par le premier président de la cour d’appel dans son ordonnance.

D’abord, la Cour de cassation relève que, contrairement à ce qu’indiquait l’ordonnance d’appel, Whirpool avait bien la possibilité de se prévaloir d’une violation de son droit à un recours effectif devant la juridiction de renvoi, ou de tout autre nouveau moyen et nouvelle prétention, soumis aux règles qui s’appliquent devant la juridiction dont la décision a été annulée.

Ensuite, elle note que les pièces saisies dans les locaux d’entreprises tierces et non notifiées à Whirpool, en violation de son droit au recours effectif, sont illicites per se, de sorte qu’une distinction par le premier président entre leur « apparence licite » et le défaut de notification, est inopérante.

Enfin, elle rappelle que ces pièces auraient dues être immédiatement écartées des débats par le premier président, et que l’analyse des pièces par ce dernier a été conduite à tort.

Nonobstant ces erreurs, la Cour de cassation constate que certains documents joints à la requête de l’Autorité et dont la licéité n’est pas discutée, établissaient à eux seuls suffisamment la réalité d’une présomption d’entente dont la preuve était recherchée. Ainsi, la Cour de cassation ne censure pas l’ordonnance du premier président de la cour d’appel ; elle rejette le pourvoi de la société Whirpool et déclare irrecevable sa demande de restitution des pièces saisies.

Par cet arrêt, la Cour clarifie la jurisprudence relative aux OVS en précisant leur cadre juridique et rappelle qu’une bonne administration de la justice suppose toujours le respect des droits de la défense. L’Autorité retiendra de son côté qu’elle a tout intérêt à multiplier les sources des indices qu’elle présente au soutien de ses requêtes au JLD, pour limiter les risques d’annulation. T

R. Hicheri