Administrateurs, en finir avec le quiet quitting ?
La démission des administrateurs a fait l’objet d’un focus particulier dans le rapport 2023 sur le gouvernement d’entreprise de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Le régulateur a constaté une trentaine de démissions d’administrateurs indépendants entre le 1er janvier et le 30 septembre 2023 au sein des entreprises du SBF 120 ; une tendance qui a perduré, le cabinet OFG recensant près de 15 démissions d’administrateurs indépendants depuis la dernière saison des assemblées générales.
A l’occasion de son rapport, l’AMF a rappelé aux émetteurs les enjeux de communication liés à de tels départs. Les sociétés cotées doivent ainsi s’interroger « systématiquement » sur le caractère privilégié de l’information relative à la démission d’un administrateur et sur la nécessité d’une communication au marché, notamment lorsque ce départ intervient dans un contexte de désaccord stratégique.
Ce rappel à l’ordre de l’AMF contraste avec les pratiques actuelles. Dans la majorité des cas, le départ anticipé d’un administrateur ne donne lieu qu’à une information sibylline. Cette information est souvent rendue publique a posteriori seulement, lors de l’annonce de la désignation d’un nouvel administrateur remplaçant, sans s’attarder sur les motifs de ce départ. Ces pratiques sont conformes au droit applicable. La caractérisation d’une information privilégiée, nécessitant une communication « dès que possible », est un standard élevé que le départ d’un administrateur ne remplit généralement pas.
Cette situation peut toutefois être problématique. La démission des administrateurs (et les raisons qui la sous-tendent) peut être un élément d’information essentiel pour les investisseurs. Par exemple, un administrateur démissionnant pour protester contre certaines pratiques ou une décision : dans une telle situation, les investisseurs pourraient avoir intérêt à connaître ces raisons.
Ce constat et le risque d’asymétrie d’information associé ont conduit certains pays à mettre en place un cadre juridique pour favoriser une meilleure transparence entourant le départ d’administrateurs. Aux États-Unis, les émetteurs doivent communiquer à la SEC et au marché toute démission d’administrateur dans les quatre jours ouvrés, avec un résumé des circonstances entourant ce départ. En Inde, le régulateur reçoit copie des lettres de démission et n’hésite pas à interroger les administrateurs sur la compatibilité d’un départ prétendument pour raisons personnelles tandis qu’ils conserveraient dans le même temps d’autres fonctions.
Cependant, même avec l’application d’un cadre spécifique, le résultat n’est pas forcément meilleur. Une étude aux États-Unis montre que ce cadre n’a pas permis une amélioration significative de la transparence, malgré des règles plus strictes. Les freins sont nombreux, avec de ce point de vue un certain alignement d’intérêts entre émetteurs et administrateurs concernés pour éviter toute publicité négative. De manière très concrète, un administrateur démissionnaire peut souhaiter ne pas passer pour un « fauteur de troubles » et ainsi compromettre ses chances de rebondir, voire tirer parti d’une possibilité de sortir « en catimini » quand la situation de l’émetteur lui paraît compromise. Mais l’excès de transparence serait aussi problématique, avec le risque de voir des administrateurs en conflit engager une bataille de communication déstabilisante ou de nuire à la confidentialité des délibérations du conseil.
Bien que ces difficultés soient réelles, l’objectif d’une transparence accrue sur ces questions reste pertinent. Le régulateur pourrait jouer un rôle plus important, mais il est surtout crucial de rappeler le rôle central de l’administrateur et ses responsabilités, qui s’étendent sans doute aux motifs et circonstances de son départ. T