Pascale Neyret, la vie comme un rallye
À l’automne 2017, Pascale Neyret est arrivée à la tête de la direction juridique de Nexity, pour accompagner la mutation de la société, devenue en début d’année plateforme de services immobiliers. Pilote de rallye à vingt ans, elle l’est restée sa vie durant. Portrait.
Samedi, début d’après-midi, elle passe les portes de La Rotonde, la brasserie de la Muette où elle a ses habitudes. Trouver du temps pour une rencontre pas tout à fait professionnelle pendant la semaine était trop compliqué. Pascale Neyret, depuis qu’elle a rejoint Nexity il y a un peu plus d’un an, est très occupée. Si elle vit aujourd’hui dans le quartier de la Muette, c’est plus par hasard que par conviction. « Quand je suis arrivée à Paris, mon frère habitait ici », dit-elle. « Je ne suis pas parisienne. Je ne le suis jamais vraiment devenue. » Ses phrases sont brèves, efficaces. Elle se raconte sans fioritures et sans affect. Façon : voilà, c’est moi et c’est comme ça. À chaque question, elle oppose d’abord un court silence. Souriante, son regard rivé au vôtre, du début à la fin de l’entretien – c’en est presque désarçonnant.Originaire de Grenoble, elle avoue avoir gardé « un esprit très province ». Et un goût certain pour le sport et le dépassement de soi. « À Grenoble, si vous ne faites pas de sport, vous ne faites pas grand-chose. J’ai fait de la compétition de 7 ans à 37 ans. Pas pour gagner, mais parce que j’aime le challenge, la montagne, le grand air. » Natation, équitation, ski, automobile. Tout lui plaît. Mais c’est sur le rallye auto qu’elle finira par se fixer.
Fille de Bob Neyret, lui-même pilote semi-professionnel qui n’a, à 84 ans, toujours pas lâché le volant – il participait encore l’an dernier au Tour Auto et a fait un Paris-Pékin il y a deux ans –, Pascale Neyret refuse pourtant qu’on parle d’atavisme. Si elle aime le rallye, c’est parce que ça correspond à sa personnalité. Grâce au rallye, en tout cas, par une succession de rencontres, elle a fait une carrière de directrice juridique. Sans même passer par la case de simple juriste. Et ça aussi, elle le doit à sa personnalité. Directrice juridique de Nexity depuis octobre 2017, elle a trouvé dans l’entreprise un nouvel endroit où mettre à profit son goût pour les défis.
« Pourtant, au départ, je voulais être journaliste, glisse-t-elle. Depuis l’âge de 14 ans, je rêvais d’être grand reporter. » Alors, quand en 1980, son bac C en poche, elle quitte Grenoble pour Paris, ce n’est pas pour aller faire des études mais pour travailler avec Roger Giquel qui, après avoir présenté le journal de 20 heures de TF1 pendant cinq ans, réalise et produit des grands reportages. Roger Giquel qu’elle a rencontré à Monaco, quelque temps plus tôt. « Je lui ai mis la tête comme un compteur pour qu’il me prenne », sourit-elle. Mais rapidement, un nouveau projet prend forme : partir pour New York, en stage chez Paris Match. Manque de chance : tombée malade, elle doit rester à Paris. Et devient pigiste régulière pour l’hebdomadaire. Son boulot : « Écrire sur rien », comme elle dit, autrement dit rédiger les textes accompagnant les photos. C’est la grande époque de Paris Match, les pigistes se battent pour décrocher ce genre de mission. Comme elle a choisi d’entrer sur le marché du travail sans passer par la case université – « Je voulais vivre », explique-t-elle –, l’avancement est plus compliqué. Le journaliste François Pédron la convainc de s’inscrire en fac. Elle ira donc en droit, à Assas, « parce que les inscriptions en lettres étaient fermées ». On est en 1982. Et Pascale Neyret mènera les deux de front – Paris Match et les études – jusqu’à la maîtrise en 1986.Fonceuse
Parallèlement, en 1983-1984, Citroën la contacte pour lui proposer un poste d’attachée de presse dans le cadre d’une opération de promotion pour la sortie de la Visa. Le principe : onze pilotes féminines pour six épreuves du championnat de France des rallyes avec à la clé, pour les deux premières, une saison complète l’année suivante. Huit mille filles répondent à l’appel. Pascale s’inscrit à la sélection de Paris, « pour comprendre le truc, en tant qu’attachée de presse ». Mais arrivée en huitième de finale, elle se prend au jeu. Faire l’attachée de presse ne l’amuse plus guère. Elle veut gagner, s’entraîne à fond, remporte la sélection de Paris. Une fois parmi les onze filles en lice pour la dernière ligne droite, elle annonce à Citroën qu’elle laisse tomber la communication pour se consacrer entièrement à la course. Quatrième, elle n’aura pas droit à la saison tant convoitée sous les couleurs du constructeur. Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’elle a découvert sa passion.
En 1986, championne de France des rallyes, elle laisse tomber Paris Match et Assas, passe son Capa (Certificat d’aptitude à la profession d’avocat) mais boude l’EFB (École de formation des barreaux). Parce qu’elle n’a plus qu’une idée : « Devenir championne du monde, devenir pro. » Alors elle fait tout pour. Cherche ses sponsors, gère sa carrière, toute seule. Une bonne école. Formatrice. Des expériences qui lui servent encore aujourd’hui. En 1990, alors qu’elle vient de perdre Danone, son sponsor principal, elle va trouver Jean-Claude Miloé, qui est le premier à l’avoir sponsorisée, tout au début de sa carrière de pilote. Jean-Claude Miloé est le P.-D.G. de Fradim, une société de promotion immobilière appartenant à Rafik Hariri. Il n’a jamais oublié leur première rencontre, en 1984 : « Je vois arriver vers moi une jeune fille et deux garçons, timides, qui n’osaient pas me demander si je voulais bien être leur sponsor et tout à coup, la fille a pris les choses en main. De façon très synthétique, très naturelle, en deux minutes elle m’a exposé leur problématique. » Jean-Claude Miloé est impressionné. Et quand il apprend qu’elle a une formation de juriste, il se dit qu’il aurait bien besoin de quelqu’un comme elle. Alors le jour où la jeune femme, quelques années plus tard, vient lui demander un peu plus d’argent – « Il lui manquait des fonds pour ses courses » –, il profite de l’aubaine : « Vous feriez mieux de travailler », lui lance-t-il. Et il lui propose dans la foulée un poste de directrice juridique. Tant pis si elle n’a pas d’expérience.
« J’ai appris sur le tas »
Pascale Neyret accepte mais à une condition : pouvoir continuer trois mois par an à « faire de la voiture ». Condition acceptée. Jusqu’en 1996, elle sera les deux : directrice juridique et pilote – « J’ai fait six rallyes de Monte-Carlo pour eux », précise-t-elle. « Je n’ai jamais vu ça comme étant compliqué. Quand ils voyaient que j’avais passé trop de temps derrière un bureau, ils savaient qu’il fallait que j’aille me détendre ailleurs. » Sourire. « Et je n’avais pas abandonné l’idée de gagner le championnat du monde. » Avec un Jean-Claude Miloé bienveillant pour mentor, Pascale Neyret fait ses armes dans l’entreprise. Manage sa petite équipe de trois ou quatre juristes, s’occupe du montage des opérations. « J’ai appris la pratique au fil de l’eau, j’ai beaucoup travaillé », dit-elle. Toute jeune encore, elle siège pourtant au Comex. « Mes petits camarades se demandaient d’où je sortais », sourit-elle.
En 1996, enceinte, elle arrête un temps la compétition. Puis reprend. Avant d’arrêter de nouveau. À son poste de directrice juridique, elle commence vraiment à se prendre au jeu. « Comme j’avais la responsabilité de tout, j’ai appris sur le tas, c’était un peu comme une compétition », dit-elle. « Depuis un ou deux ans, je me rends compte à quel point cette expérience de sportive a joué dans ma façon d’aborder le métier. Dans mes missions de management, j’applique ce que j’ai appris en faisant des rallyes. Si je peux faire sortir quelqu’un de sa zone de confort et lui faire réaliser quelque chose qu’il ou elle ne se pensait pas capable de faire, j’ai gagné », dit-elle.
En 1999, voyant arriver les changements au sein de Fradim, Jean-Claude Miloé incite Pascale à valider son diplôme d’avocate grâce à la passerelle. À la suite de quoi elle rejoint DS Avocats, pour exercer en droit du sport (et en immobilier). Mais le passage en cabinet sera bref. En 2000, chassée par GE Capital qui venait de s’implanter en France dans l’immobilier via le rachat de deux sociétés de crédit bail, elle se laisse tenter. Passe de la promotion immobilière aux fusions-acquisitions. C’est Valérie De Launayqui la recrute. « Je voulais de l’atypique, j’ai été servie ! » se souvient l’ancienne DRH. « Qu’elle ait fait du rallye était un élément très différenciant. Je me suis dit qu’elle était habituée à gérer des situations difficiles dans des environnements d’hommes, c’était exactement ce qu’il nous fallait. »
Une belle opportunité
Pourtant, Pascale Neyret essaie de ne pas trop mettre en avant son passé de pilote. « S’il n’y avait pas Google, je n’en parlerais pas », assure-t-elle. Car, comme elle dit, « la vie, c’est des tranches de mandarine, il faut savoir laisser une tranche et croquer dans la suivante. » La tranche GE durera cinq ans. « J’ai adoré, dit-elle. Je n’ai pas dormi pendant cinq ans, mais j’ai adoré. » Suivront moins de trois ans chez le Hollandais Rodamco. Puis en 2008, Gecina. « Je n’avais pas encore travaillé dans une société cotée, c’était intéressant. » Sa mission : restructurer et redynamiser la grosse équipe de juristes déjà en place. Un défi de management qu’elle est ravie de relever : « Piloter une direction juridique, c’est aussi détecter les talents cachés, les appétences, monter une équipe qui marche, c’est jouer sur les complémentarités. »
Elle a repris naturellement à son compte le credo des directeurs juridiques : nos équipes ne sont pas une source de coût, mais un centre de profit. « Il faut être au cœur du réacteur, dit-elle, accompagner l’entreprise, accompagner les dirigeants. » Administratrice du Cercle Montesquieu, elle a participé au groupe de travail qui a monté l’executive master de Sciences Po. Le but : ouvrir la formation de juriste aux autres expertises (marketing, management, finance…).
Et en 2017, alors que l’épisode Gecina se termine, elle décide de « retourner dans ses montagnes » en « s’interdisant de penser » à ce qu’elle va faire ensuite. Mais la pause est écourtée. Contactée par Nexity, elle cède à la tentation. L’opportunité est trop belle. « Je suis allée les voir et ça s’est fait très vite », dit-elle simplement. Depuis un peu plus d’un an, elle encadre une équipe d’une centaine de personnes. Sous l’impulsion d’Alain Dinin – « un visionnaire », assure-t-elle –, la société est en train d’opérer sa mue pour « mettre l’humain au cœur de la construction immobilière – c’est assez exemplaire ». Une belle idée, c’est vrai. De la poudre aux yeux ? On ose lui poser la question. « Entre le dire et le faire, c’est vrai qu’il y a parfois un fossé, reconnaît-elle. Mais là, je peux vous assurer qu’il le fait ! » Pascale Neyret, qui a été recrutée dans le cadre de cette évolution, a pour mission d’accompagner le changement au sein de la direction juridique. Et ce qui est sûr, c’est qu’elle est déterminée. « Aujourd’hui, avec toute mon expérience, je me sens dans mon poste, à ma place et je sais pourquoi », dit-elle. Et puis de toute façon, comme elle a dit plusieurs fois au cours de l’entretien : « Quand j’ai envie de réussir, j’essaie de tout mettre de mon côté pour y parvenir. »