Nicolas Barberis : le collectif avant tout
Par Aurélia Granel
Reportage photographique Mark Davies
Arrivé chez Ashurst en tant que stagiaire en 2001, pour en ressortir par la grande porte seize ans plus tard et rejoindre Freshfields Bruckhaus Deringer, Nicolas Barberis s’est fait un nom à Paris sur les opérations de fusions-acquisitions, et plus particulièrement, de private equity. Portrait d’un homme fidèle, aussi technicien que rassurant.
«Depuis mon arrivée chez Freshfields, je n’ai pas pris le temps d’acheter des meubles et de défaire les cartons qui envahissent mon espace de travail, annonce Nicolas Barberis, à l’évocation de son bureau. C’est une constante chez moi : beaucoup d’entre eux n’ont même jamais été ouverts depuis mes débuts chez Ashurst. » L’avocat n’a pas le temps, préfèrant se concentrer sur ses dossiers. Il n’en a pas toujours été ainsi pour ce Lyonnais qui a effectué ses années de collège et lycée à l’externat Sainte-Marie. « Mon cycle scolaire chez les maristes n’avait rien d’exceptionnel, c’est le moins que l’on puisse dire, reconnaît-il. J’étais loin d’être une tête de classe ! »
Son baccalauréat ES en poche, il se fait coacher par un ami de ses parents, Jean-Pierre Gitenay, l’un des associés du cabinet Lamy Lexel, qui lui vante les mérites du métier d’avocat d’affaires. Persuadé d’avoir « trouvé sa voie », Nicolas Barberis s’inscrit à l’université Lyon III et enchaîne des stages, chaque été, chez Lamy Lexel. « Il fait partie des gens de qualité avec lesquels j’ai pris plaisir à travailler, se souvient Jean-Pierre Gitenay. Au-delà de ses capacités intellectuelles, Nicolas Barberis est une personne qui possède de belles valeurs. Il a du cœur et le sens des autres. »
L’étudiant s’oriente ensuite sur le Magistère de droit des affaires-DJCE. « Une excellente formation pour les jeunes avocats d’affaires, proche du monde économique, ponctuée de cas et d’enseignements dispensés par des praticiens du droit, tout en collant à la théorie, commente-t-il. Aujourd’hui, certaines de nos meilleures recrues en sont d’ailleurs issues. » Son immersion dans le monde des affaires renforce sa conviction sur son avenir professionnel : il souhaite se spécialiser en fusions-acquisitions. « Si mes années de lycée ne m’ont pas inspiré, mon cursus universitaire, guidé par l’objectif de devenir avocat d’affaires, a déclenché chez moi le goût du travail et la culture des bons résultats. »
Ashurst, les seize glorieuses
Désireux d’avoir accès aux beaux dossiers, et guidé là encore par Jean-Pierre Gitenay, il s’oriente vers Paris. « Son départ ne m’enchantait guère, mais je n’ai absolument rien fait pour le retenir, car à mes yeux, un avocat d’affaires doit nécessairement passer par Paris, Londres ou New York en début de carrière », indique le fondateur de Lamy Lexel.
Nicolas Barberis postule alors au sein des grands noms de l’époque : Willkie Farr & Gallagher, Shearman & Sterling ou encore Linklaters. Mais c’est finalement sur Ashurst que son choix s’arrête. Un cabinet positionné en transactionnel et notamment en LBO. Or, si le private equity commence à avoir le vent en poupe, la matière juridique est un eldorado pour les avocats parisiens et fait la part belle à ceux qui ont le goût des chiffres.
En juillet 2001, Fabrice de La Morandière, qui est alors sur le départ pour Linklaters, doit lui faire passer son dernier entretien. Coincé en réunion, c’est Guy Benda, qui n’est pas encore associé à l’époque, qui le remplace et lui fait une proposition séance tenante. Ils ne se quitteront plus ! Les débuts sont intenses. « J’étais passionné et trouvais la dynamique d’équipe fantastique et galvanisante, se rappelle Nicolas Barberis. Mais, je n’avais pas anticipé le rythme de travail. »
Thomas Forschbach dirige à cette époque la pratique private equity du cabinet. « Il a réellement contribué à développer notre esprit d’équipe et m’a fait comprendre très tôt l’atout que cela pouvait représenter dans l’exécution des dossiers, indique Nicolas Barberis. Il nous disait toujours de ne pas parler aux clients en notre seul nom mais d’utiliser la première personne du pluriel. » Se comptent également comme associés : Frédéric Pinet, Jonathan Nabarro, Laurent Mabilat et Guy Benda. Et, parmi ses camarades de stage, Thomas Le Vert, ou encore Denis Criton. Tous sont unis par une même dynamique : le développement du cabinet et le positionnement sur les plus beaux dossiers du moment.
Car les années 2000 correspondent à l’âge d’or du private equity, avec un important volume d’opérations. Nicolas Barberis se positionne alors sur quelques dossiers emblématiques : la cession par Vivendi de la totalité de ses pôles d’information professionnelle et santé à un consortium de fonds d’investissement anglo-saxons, mené par le britannique Cinven pour 1,6 Md€, ou encore le rachat de Télédiffusion de France par Charterhouse et la CDC pour 1,9 Md€. Ce dernier dossier est d’ailleurs celui qui a sans doute le plus marqué son début de carrière. Il en a suivi toutes les phases, en tant que stagiaire, dans un premier temps, puis comme collaborateur, lors des build-up et cessions d’actifs intermédiaires, jusqu’à son association, lorsqu’un consortium emmené par Texas Pacific Group rachète l’ensemble en valorisant l’actif 4,9 Mds€. Vincent Pautet, associé de Charterhouse, qui travaille depuis une quinzaine d’années avec Nicolas Barberis, a travaillé avec lui sur de nombreuses opérations. « C’est l’un des meilleurs avocats de la place de Paris en private equity, explique-t-il. Grâce à ses qualités relationnelles exceptionnelles, il tisse aussi des liens forts avec les managers des sociétés que nous rachetons, ce qui lui permet de conseiller ces derniers par la suite, notamment sur des opérations de build up. »
2004, un nouveau départ
En 2004, Thomas Forschbach rejoint Latham & Watkins, cabinet qui avait parlé mariage avec Arshurst quelques années plus tôt, avant que les discussions ne prennent fin précipitamment. Une grande partie de l’équipe corporate le suit, dont Gaëtan Gianasso, Nathalie Alibert, Alexander Benedetti, mais aussi Denis Criton et Frédérique Berthier. Nicolas Barberis fait le choix de rester. « J’étais jeune, je n’avais pas encore de vision globale du marché, explique-t-il. Mais je n’ai jamais regretté mon choix, que j’avais mûrement réfléchi, malgré le tiraillement. J’avais développé un véritable sentiment d’appartenance à Ashurst et m’entendais très bien avec ses associés, notamment Guy Benda avec qui je travaillais énormément. »
C’est un nouveau départ pour le bureau parisien de la firme anglo-saxonne. Mais le rebond est au bout du chemin, notamment grâce à la pratique financement, portée par Laurent Mabilat et Diane Sénéchal. En 2005, le pôle corporate-private equity se renforce d’une nouvelle compétence en droit boursier, avec l’arrivée de Yann Gozal. Un véritable partnership se crée entre les équipes du cabinet, qui s’imposent sur les grands dossiers du moment. À l’image du fameux public to private de Charterhouse sur Elior, pour un montant de 1,6 Md€ ou encore de l’acquisition de Vivarte, pour près de 3,4 Mds€.
Nicolas Barberis surfe sur la vague des opérations et s’impose peu à peu comme un élément moteur du bureau de Paris. En 2008, six ans seulement après avoir débuté sa collaboration, il est coopté au rang d’associé, à l’âge de 31 ans. Guy Benda se souvient en plaisantant : « Convoqué par le bureau londonien pour assister au New Partners Committee devant décider de son association, Nicolas s’est vu refuser l’entrée sur le sol britannique avant de monter dans l’Eurostar, sa pièce d’identité étant périmée ! »
Quelques mois plus tard, la crise financière est un nouveau coup dur pour le cabinet qui doit, comme la plupart des firmes de la place, traverser un passage à vide en matière d’opérations de private equity. L’esprit d’équipe demeure pourtant très fort et les associés décident de se réorienter, en développant une pratique de restructuration de LBO et de renégociation de dette. Ils sont d’ailleurs parmi les premiers de la place à réagir. Et le pari est gagnant : le cabinet engendre des résultats presque meilleurs qu’avant-crise. « Défaire une opération de LBO peut s’avérer encore plus complexe que de la monter, soutient l’associé. Cela a été un atout dans la vague de restructurations qui a suivi la crise financière. Là encore, notre stratégie de spécialisation s’est révélée payante. »
Freshfields : l’heure du choix
En septembre 2011, alors que les opérations de LBO redémarrent doucement, Ashurst et l’australien Blake Dawson annoncent leur projet de fusionner au niveau mondial. La firme marque ainsi sa volonté de se diversifier, tant sur le plan géographique que sectoriel. Les associés parisiens en corporate-private equity souhaitent, quant à eux, privilégier leur fonctionnement en modèle de niche haut de gamme. « Nous voulions continuer à nous positionner sur des opérations de taille importante en private equity et pensions qu’il était temps de rejoindre une plateforme internationale, où la matière était centrale et où nous pourrions développer des synergies », indique Nicolas Barberis, qui était alors le co-head mondial de l’activité private equity d’Ashurst. Et de poursuivre : « Il y avait une volonté humaine et personnelle à ce que l’on continue cette aventure ensemble, mais surtout une véritable motivation business, avec un travail d’équipe qui avait fait ses preuves. »
La rencontre avec l’équipe de Freshfields Bruckhaus Deringer est décisive. « Nous nous sommes immédiatement aperçus du potentiel d’un tel mouvement, annonce-t-il. Au-delà de la plateforme internationale, l’équipe a démontré son ambition de créer une pratique leader en private equity à Paris, en s’appuyant sur les équipes de premier plan en la matière à Londres, en Allemagne, et de manière plus générale en Europe. La liste des fonds d’investissement clients de la firme était impressionnante et la synergie business avec notre équipe était réelle. Quant au plan humain, le fit avec les associés de l’équipe en place a été immédiat. » Cette dernière est alors composée d’Hervé Pisani, managing partner du bureau parisien, et des associés Alan Mason, Florent Mazeron et Olivier Rogivue en corporate, et de Fabrice Grillo en financement. Nicolas Barberis, Guy Benda, Yann Gozal, Laurent Mabilat et Stéphanie Corbière signent en février 2017 pour rejoindre la firme du magic circle. « Notre décision s’inscrivait dans un projet entrepreneurial, avec un challenge important à relever : nous intégrer dans une équipe existante sans demeurer un clan à part. » Si leur clientèle historique les suit, notamment les fonds Charterhouse Capital Partners, Chequers Capital, PAI Partners ou encore JC Flowers & Co, l’intégration chez Freshfields permet à l’équipe de travailler pour les grands comptes du cabinet, en leur proposant leur vision transversale de la pratique, à l’instar d’Advent International, de la Caisse de dépôt et placement du Québec, de Carlyle, de Blackstone ou encore d’Ontario Teachers Pension Plan.
L’associé, qui a pris la responsabilité de l’activité private equity parisienne de Freshfields, s’est depuis fait remarquer sur plusieurs beaux dossiers, comme la reprise d’ADB Safegate par Carlyle auprès de PAI Partners (900 M€), l’acquisition d’un portefeuille OTC auprès de Sanofi par le groupe Cooper-Vemedia ou encore l’acquisition du Courtier Siaci Saint Honoré par Charterhouse et son management auprès d’Ardian (1 Md€).
« Le bon avocat est celui qui trouve le meilleur point d’équilibre entre les parties et parvient à rassurer son client, en lui proposant la meilleure issue possible pour son dossier. Et cela, même si ce n’est pas celle qui semble évidente de prime abord », souligne l’associé. Une qualité que confirme Vincent Pautet de Charterhouse : « Cernant immédiatement les enjeux juridiques et financiers du dossier, Nicolas Barberis ne craint pas la prise de décision finale. Il ne se cache pas derrière ses clients, en expliquant que celle-ci leur revient. »
Rassurer, guider et partager. Tel est, sans aucun doute, le Leitmotiv qui a guidé le développement de Nicolas Barberis. Celui qui, après avoir longtemps été perçu comme discret au sein d’une équipe où le collectif prime, a aujourd’hui gagné la reconnaissance du marché et ses galons de star du private equity. « Nicolas Barberis est l’un des meilleurs de sa génération. Excellent négociateur, doublé d’un fin praticien, il est aussi à l’aise dans le droit que dans les chiffres », conclut Guy Benda, celui qui le connaît peut-être le mieux.