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Nicola Bonucci, l’homme de confiance de Paul Hastings

Par Ondine Delaunay

Devenu avocat en 2019 après avoir exercé 26 ans à l’OCDE, Nicola Bonucci a un profil qui dénote au sein du barreau d’affaires parisien. Fort d’une remarquable culture internationale, il pense le droit avec une approche qui dépasse les frontières franco-françaises et a su gagner la confiance de la majorité des grands acteurs mondiaux de l’anticorruption.

« Bonjour à tous, je suis Nicola Bonucci. Nicola s’écrit sans «s». J’y tiens beaucoup ». C’est ainsi que l’associé de Paul Hastings a introduit la conférence que son cabinet organisait, en mars dernier, sur les perspectives françaises en matière de lutte contre la corruption. Curieuse entrée en matière… Avec un large sourire, l’avocat se justifie : « Lorsque je suis arrivé en France, à l’âge de 14 ans, j’ai pris l’habitude, qu’à l’école, mon prénom soit écrit à la française. Jusqu’au jour où j’ai lu sur un de mes documents officiels le mot Nicolas. L’erreur m’a sauté aux yeux. Mon prénom est italien, c’est l’une des marques de la bi-culturalité qui me caractérise et je la considère comme un atout ». De père italien et de mère française, Nicola Bonucci revendique certes cette double nationalité, mais il se sent avant tout international. « Sauf au foot, annonce-t-il avec sérieux, où je reste italien ». Et il ajoute : « ma pensée juridique est sans doute davantage française ».

OUVERT AU MONDE

Élevé dans une petite ville située non loin de Venise, Nicola Bonucci débarque à Paris, avec ses parents, en pleine adolescence. Inscrit à l’école active bilingue dans le XVIIe arrondissement, il découvre une capitale cosmopolite où la mixité sociale vit ses plus belles années. « La France sortait de mai 68 et venait de voter Giscard d’Estaing. Les changements sociétaux étaient importants par rapport à l’Italie profonde. Tout nous semblait possible » raconte-t-il. L’étudiant se passionne rapidement pour le cinéma et surtout pour l’histoire. Mais sa mère le dissuade de s’engager professionnellement dans cette voie. Le hasard faisant bien les choses, il est l’heureux mari, depuis 30 ans, d’une historienne française spécialiste de l’Italie. « J’adore tout ce qu’elle fait, annonce-t-il dans un élan de fierté empreint de profonde tendresse. Nous parlons beaucoup de ses recherches ». Lui, ira à la fac de droit, suivant les pas d’un grand-père huissier de justice – qui a longtemps officié lors de la Cérémonie des Césars – et d’un oncle conseil juridique. Les deux premières années à l’université de Nanterre passent bon an mal an. « J’étais surtout enfermé dans une salle de cinéma plutôt qu’en cours », explique-t-il d’un air espiègle. Mais lorsqu’il découvre le droit international public en troisième année, il manifeste un certain intérêt à se déplacer jusqu’aux bancs de la faculté.

Et comme Nicola Bonucci ne fait jamais les choses à moitié, il poursuit finalement son cursus par un DEA de droit public option droit international (Nanterre, 1986), un DESS d’administration internationale (Paris II, 1987), puis par un LLM de droit international et de droit comparé (University of Notre Dame, 1988). « J’aime l’exposition à l’international car il s’agit d’aborder et de réfléchir aux mêmes questions, mais avec une approche différente. Dans une table de négociations, tout le monde peut bien parler la même langue – en l’occurrence l’anglais – personne n’attachera la même chose aux concepts véhiculés », affirme-t-il. Il en a d’ailleurs fait l’amère expérience lors de son premier poste, à Rome, à la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture). Un accord international sur la pêche en haute mer devait être négocié, puis traduit dans les trois langues de travail de l’institution : le français, l’anglais et l’espagnol. « La version hispanique n’a jamais pu être signée, expliquet- il. Les Espagnols et les latinos, qui pourtant parlent la même langue, n’étaient pas d’accord sur les concepts qui découlaient des termes choisis. Cette première expérience m’a appris qu’il ne suffit pas d’écouter l’autre, il faut aussi comprendre comment il fonctionne ». Selon lui, c’est même la clé d’un bon négociateur.

LE GOÛT DES AUTRES

La négociation, Nicola Bonucci en fait l’un de ses principaux atouts. D’abord parce qu’il est naturellement attentif et bienveillant. Son goût pour les autres est sincère et franc. Il aime rencontrer des gens, les écouter, apprendre d’eux. « Il est passionné et attentionné. Il va vers les gens et s’intéresse à eux. Il a une aptitude relationnelle unique qui lui permet à la fois de partager son savoir et de s’enrichir de l’expérience d’autrui », témoigne Olivier Catherine, secrétaire général de Sonepar. C’est ce caractère très humain qui lui a permis de construire un carnet d’adresses extraordinairement fourni, composé de personnalités diverses issues bien sûr des quatre coins du monde et qui lui font confiance. Astrid Mignon Colombet, aujourd’hui associée du cabinet August Debouzy et qui le connaît depuis longtemps, raconte : « Nicola a toujours eu une grande générosité dans le partage de l’information et de ses connaissances. C’est un homme d’une grande culture juridique, un penseur du droit et de son évolution ». Et cette technicité, Nicola Bonucci ne l’a pas transformée en barrière qu’il érigerait dans un élan de supériorité et qui le séparerait d’autrui. Son savoir-faire est rassurant car il a vocation à être partagé. Pédagogie, pragmatisme et transmission constituent sa ligne de conduite. Entré à l’OCDE en 1993 comme juriste, il a longuement participé au développement du travail normatif de l’organisation. Il a négocié patiemment l’adhésion à l’OCDE de multiples pays, parfois très éloignés culturellement de toute forme de mondialisation. Mais il a surtout été l’un des plus fervents porte-parole de la lutte contre la corruption et représente, sans conteste, l’un des acteurs majeurs du mouvement international qui a cru durant le nouveau millénaire. Devenu directeur des affaires juridiques de l’organisation en 2005, il l’a positionnée comme centrale et précurseur dans ce combat, prônant la bonne parole auprès des juristes des entreprises mondiales et des avocats, rencontrant les gouvernements, les législateurs et bien sûr les divers représentants des autorités de poursuite. Il représente même l’organisation au sein du groupe de travail anticorruption du G20, puis préside durant deux ans le comité anticorruption de l’International Bar Association (IBA). Bref, Nicola Bonucci devient Monsieur Anticorruption1. « J’avais été approché par Paul Hastings, en novembre 2015, lors d’une conférence internationale. Je connaissais plusieurs associés du bureau de Washington, dont Timothy Dickinson et Nathaniel Edmonds pour lesquels j’ai le plus profond respect. Ils m’avaient alors proposé de les rejoindre. Mais ce n’était pas le bon moment. Mon année avait été chargée par des événements familiaux terribles et je voulais rester auprès des miens, sans m’engager dans une nouvelle aventure professionnelle », raconte-t-il gravement. La porte n’est pourtant pas totalement fermée. Et lorsque, trois ans plus tard, ces mêmes avocats reviennent le voir, la discussion prend un autre tournant.

CHANGEMENT DE CARRIÈRE

Nicola Bonucci exerce alors au sein de l’OCDE depuis 25 ans. Il a 58 ans et se pose des questions. Doit-il rester au même poste jusqu’à la fin de sa carrière, ou prendre une nouvelle voie ? « Mes fonctions étaient de plus en plus politiques, explique-t-il. Je traitais beaucoup de méthodes et moins de fond et de concret, ce qui ne me plaisait pas vraiment ». L’arrivée au pouvoir de Donald Trump en 2017 a achevé de le décider. Car le dédain du président américain pour l’organisation mondiale est manifeste. « Mes interlocuteurs ont tous commencé à réorienter leur carrière. Le secrétaire général de l’OCDE allait être remplacé. J’ai jugé qu’il était temps de faire autre chose et de me confronter à la mise en oeuvre des principes que j’avais participé à écrire ». Il accepte l’offre d’association de Paul Hastings. Une condition néanmoins : exercer depuis Paris où demeurent ses attaches familiales. Sa rencontre avec Dominique Borde, puis Philippe Bouchez El Ghozi, du bureau français de la firme américaine, achève de le convaincre. Son atout principal en tant qu’avocat ?

Par-delà son expertise, c’est bien sûr son réseau et sa connaissance de tous les acteurs de l’anticorruption. « Il a une capacité à créer des ponts entre les diverses parties prenantes de la compliance, en France comme à l’étranger, explique Olivier Catherine. Il est un « phare » dans ce secteur, avec une réelle capacité à anticiper les nouvelles tendances au niveau mondial et les problématiques qui vont émerger ». Son expérience internationale lui confère une parfaite compréhension de la géopolitique et de ses conséquences, à plus ou moins long terme, sur les entreprises et plus largement sur l’économie. « Le monde dans lequel les groupes opèreront dans les prochaines années ne sera plus globalisé au sens des trente dernières, prédit-il. Il faudra faire des choix géopolitiques, savoir opérer face au protectionnisme de jure ou de facto. Les choix juridiques des entreprises seront motivés par des considérations politiques ». Fort de cette analyse, il vient d’ailleurs de lancer une nouvelle offre au sein de la firme, qu’il mutualise avec les bureaux anglais et américains. Il conseille les conseils d’administrations sur les stratégies juridiques à mettre en oeuvre à la suite des différents paquets de sanctions russes qui s’enchainent depuis un an, et les aide à anticiper les risques et les conséquences de leurs décisions. « Il ne suffit pas de raisonner uniquement en termes de respect des sanctions pour son entreprise. Il convient également de vérifier l’ensemble de ses participations pour vérifier les intérêts que l’on a en Russie et décider si l’on doit rester, ou pas, sur le territoire et, au-delà, être conscient des bénéficiaires ultimes des partenaires commerciaux avec lesquels on travaille », annonce Nicola Bonucci. L’institutionnel s’est donc transformé en avocat. « J’ai endossé assez facilement mon nouveau costume, dit-il. Plus que le rôle traditionnel de plaideur, j’aime celui de conseil stratégique de l’entreprise. Je cherche à convaincre dans un cadre de discussion simple, sans juge ni pouvoir, sans effet de manche ». Leurs cabinets étant géographiquement proches, Nicola Bonucci déjeune régulièrement avec Astrid Mignon Colombet. Elle raconte : « J’ai toujours vu le même homme à travers ses différents costumes de directeur des affaires juridiques de l’OCDE et d’avocat. Il a une pensée juste, claire, ouverte sur le monde. Il est passionné et facile d’accès. Il est en réalité un avocat très crédible, façonné par plus de vingt ans à l’OCDE ».

Pour Olivier Catherine, Nicola Bonucci est bien plus qu’un avocat traditionnel. « Il a une vision unique de l’anticorruption, car elle est transnationale et dépasse le strict cadre franco-français de Sapin 2. C’est un atout considérable par rapport à nombre de ses confrères ». La suite n’est pas encore écrite. Nicola Bonucci dit n’avoir jamais fait de plan de carrière. Mais ses capacités de négociation dans un environnement mondial pourraient faire de lui un personnage de choix dans le cadre d’une importante médiation internationale, voire dans les conflits militaires en cours.