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Matthieu Grollemund à la conquête des cîmes

Par Olivia Dufour
Paru dans LJA MAG 52 - Janvier/Février 2018
Photo Mark DAVIES

Matthieu Grollemund a intégré en mai dernier Baker McKenzie en qualité d’associé pour co-diriger la pratique corporate du bureau de Paris. Portrait d’un avocat d’affaires formé à la dure école des montagnards.

«Je suis originaire du Jura bernois, une région en Suisse où il ne s’est rien passé durant les 800 dernières années » confie, facétieux, Matthieu Grollemund quand on lui demande de raconter l’histoire de sa vie. Le jeune bernois en réalité a grandi à Paris mais il retournait dans ses montagnes lors des vacances scolaires et rêvait, enfant, de devenir guide de haute montagne. Il a finalement renoncé, la vie parisienne était incompatible avec l’entraînement nécessaire à cette discipline exigeante. « Les grands alpinistes n’ont pas forcément des physiques d’exception, mais il faut vivre en montagne », commente-t-il rêveur avant de préciser « je pratique toutes les disciplines de montagne, l’escalade, l’alpinisme, le ski de randonnée. Et même quelques big walls où l’on reste plusieurs jours suspendu au flanc de la paroi. Cela semble effrayant mais c’est moins dangereux que les chutes de pierres dans le massif du Mont-Blanc ».

Il est vrai aussi que lorsqu’on a une mère directrice de TF1 et un père à la tête des Presses de la Cité, on est tenté de rêver d’autres cîmes que de celles du Jura. Surtout que Matthieu Grollemund a des facilités à l’école. Il décroche le bac à 16 ans, sort diplômé de l’ESCP Europe à 21 ans. « J’avais une intelligence scolaire, donc les études étaient plutôt faciles », tempère-t-il, modeste. La passion de la montagne a pourtant failli lui coûter son diplôme. « J’avais décidé d’emmener des copains faire des ascensions dans l’Himalaya. Seulement ce n’est pas possible à n’importe quelle période et nous sommes donc partis en cours d’année pour éviter la mousson, à la grande colère de la direction de l’ESCP qui a bien failli nous exclure de l’école », se souvient-il, amusé.

Qu'as-tu fait durant toutes ces années ?

À cette époque, Matthieu Grollemund n’a pas de rêve professionnel précis. La finance ne l’attire pas, le marketing non plus. En revanche, il a découvert auprès de ses parents le monde de la propriété intellectuelle et des avocats d’affaires, en particulier américains. Des personnages qui le fascinent par leur capacité à être présents dans les bons comme dans les mauvais moments.

En 1997, une proposition du cabinet Freshfields Bruckhaus Deringer décide de son destin. Il sera avocat d’affaires. À l’époque, la firme anglaise connaît une ascension fulgurante. C’est le début du private equity et l’émergence de la vague Internet. Chez Freshfields, Matthieu Grollemund découvre concrètement le métier d’avocat d’affaires en participant à des deals historiques à l’instar du rapprochement Castorama Kingfisher ou de l’introduction en bourse d’Orange. Certes, c’est passionnant, mais il s’interroge : «

Pendant une de ces nuits passées au cabinet à travailler sur un deal, j’ai songé qu’un jour mes enfants me diraient : "mais qu’as-tu fait pendant toutes ces années où tout le monde faisait fortune pendant que toi tu te contentais de les conseiller ?" Il fallait que je trouve une idée ». En fait d’idée, il reçoit une proposition. Le cabinet de consultant Mc Kinsey a décidé de créer une practice en corporate finance et embauche des avocats et des banquiers dans le monde entier. Hélas, au bout de trois ans, Mc Kinsey met fin à l’aventure car la pratique n’est pas assez rentable.

« Don’t say you’re french, say, you are from brooklyn ! »

Qu’importe. Matthieu Grollemund va puiser dans son expérience de consultant de quoi rebondir. L’une des dernières missions qu’il a réalisée en effet chez Mc Kinsey a été de conseiller Latham sur le rachat de Stibbe. Or, il sait que d’autres firmes américaines envisagent de s’installer en France et notamment Paul Hastings. « J’ai pris ma voiture et je suis parti rencontrer le patron de Paul Hastings, à Los Angeles. J’y suis allé au culot : "je sais que vous préparez la fusion avec Moquet Borde, voilà comment il faut faire pour intégrer une firme française, voici la façon dont Latham a procédé et je peux jouer un rôle de lien avec les bureaux américains et français", se souvient-il. Le lendemain j’avais une proposition ».

À Paris, il travaille avec Dominique Borde sur le dossier Eurotunnel, ce qui aura une incidence sur la suite. « C’est le genre de dossier exceptionnel où l’on dit à son client que la loi l’empêche de faire ce qu’il veut et où il répond : on n’a qu’à changer la loi ! » Puis il part à New-York, où il restera six ans. Les débuts sont difficiles, tous les réflexes de droit français et même anglais sont inopérants « On passait des heures à discuter de la clause de bonne foi ; en revanche les clauses qu’on négociait en France comme l’opposabilité des documents ne posaient chez eux aucun problème, donc je voyais bien à quel point toutes mes pratiques de marché étaient hors sujet. Quelle leçon d’humilité ! ». C’est cette époque que le jeune avocat parisien rencontre celui qui restera un de ses maîtres : Tom Kruger, l’ancien patron du département corporate de Paul Hastings. « Il m’arrive régulièrement, en cas de crise, de me demander : "que ferait Tom à ma place ?" et ça m’aide beaucoup. Ces grands avocats américains qui sortent de Harvard ou de Yale sont d’une puissance, d’une rapidité et d’une profondeur de raisonnement exceptionnelles ».

En 2007, il participe aux côtés de son mentor à la vente par General Motors de sa société de financement GMAC, pour 7,4 milliards de dollars cash… 125 avocats de Paul Hastings sont mobilisés sur l’opération. Mais il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpeienne : la crise des subprimes éclate et ravage des pans entiers de la finance. Le cabinet Paul Hastings est sollicité pour réfléchir à des schémas de bad banks, sauf que personne ne sait le faire. Le Français, lui, connaît le sujet depuis qu’il a travaillé sur Eurotunnel. Il expose devant ses confrères américains médusés le modèle du Crédit Lyonnais. « The mother of all bad banks. À cette époque de French bashing, les Français à New-York sont considérés soit comme des prodiges, soit comme des incapables prétentieux. Il y a toujours cette ambiguïté. Mais là, ils m’ont pris au sérieux ! », se souvient l’avocat. « Tom avait une blague "don’t say you’re French, say, you are from Brooklyn !" C’était du reste devenu mon surnom. »

Malgré ces beaux succès, l’avocat a compris que New-York est une ville sans pitié dont on ne fait jamais vraiment partie et où les échecs sont aussi fulgurants que les réussites. Et puis ses deux enfants – il en a trois aujourd’hui – commencent à devenir américains. Alors il décide de rentrer à Paris chez Orrick. « Rentrer en France est sans doute la meilleure décision que j’ai jamais prise, juge-t-il avec le recul. À l’époque, toutes les sociétés de croissance françaises, que ce soit dans les nouvelles technologies, médical, cosmétique ou art de vivre, utilities (train, avion, BTP) se tournaient vers le premier marché du monde mais très peu de cabinets sont capables de proposer un service intégré vers les US. »

De Orrick à Baker

En 2009, il rejoint Orrick. C’est l’époque des dossiers de bankruptcy et pas des moindres : Technicolor. Puis quand le M&A repart, il travaille avec Jean-Pierre Martel sur de belles offres publiques. Seulement, les sirènes New-yorkaises résonnent de nouveau sous la forme d’une proposition du cabinet Dechert. L’avocat a débuté sa carrière avec la vague Internet, traversé la crise des subprimes, voici que surgit la folle aventure des nouvelles technologies. « C’est une période exceptionnelle, se souvient-il. On affiche 50 % de croissance par an dont un tiers en venture capital. Nous avons travaillé pour toute la French Tech française, Blablacar, Criteo, Showroomprivé.com, Doctolib, etc. » À l’époque, il passe une semaine sur six aux États-Unis. À côté de la nouvelle économie, les opérations plus traditionnelles sont elles aussi passionnantes, notamment dans le secteur médical l’OPA sur Medtech, sans oublier la première l’IPO d’une société française à Hong Kong. Mais quand Baker McKenzie lui fait une offre, il accepte. « Le cabinet cherchait à développer son private equity et m’a proposé de co-diriger un groupe de 52 personnes dans un cabinet qui réalise près de 100 millions de chiffre d’affaires. »

Baker lui offre la plateforme internationale nécessaire pour servir ses clients qui l’ont tous suivi : « Les gens l’ignorent mais c’est le numéro 1 du cross border M&A, depuis 7 ans chaque année ». La proposition lui paraît d’autant plus intéressante qu’il réalise précisément 85 % de son chiffre d’affaires dans le cross border. Mais au-delà de la cohérence économique entre ses activités et celles qu’on lui propose, c’est la culture même du cabinet qui lui plaît à plus d’un titre. En particulier l’agilité du cabinet qui, tirant les leçons de la faillite d’Arthur Andersen, a créé une association de droit suisse dans laquelle chaque bureau est indépendant. Cela permet de fonctionner avec beaucoup d’autonomie.

Objectif : Chine

Ces dernières années, le cabinet s’est employé à s’institutionnaliser en harmonisant la qualité de son service dans le monde entier. Mais le cabinet se caractérise aussi par une culture sectorielle très forte. « Baker est très en avance là-dessus, avec six industry groups puissants, explique-t-il avec enthousiasme. Je reviens d’un séminaire en Suisse de healthcare où la firme a rassemblé durant deux jours environ 140 industriels, clients ou non du cabinet, et avocats pour débattre des problématiques juridico- financières, c’est la jonction entre le business et le droit. On ne fait pas une opération en pharma comme dans une autre industrie, et cette conviction constitue un vrai avantage ». Ce qui séduit Matthieu Grollemund c’est aussi la passion que développe le cabinet pour l’innovation : « je pense que les grandes firmes d’avocats vont devoir détenir les legal techs s’ils ne veulent pas qu’ils ne les mangent par les racines ». C’est ainsi par exemple que Baker utilise un robot situé en Irlande pour gérer plus de 170 000 marques dans 200 pays. Le robot signale les renouvellements, ou encore les contrefaçons et fait le travail de dizaines d’avocats. « Quand vous gérez les actifs essentiels d’un client, vous créez une adhérence unique » commente l’avocat.

Baker développe également en permanence des applications et a remporté par exemple un grand succès avec celle dédiée à la réforme du code civil. Parmi ses ambitions aujourd’hui figure celle de répliquer en Chine la success story des sociétés françaises au NASDAQ grâce à la forte implantation du cabinet à Hong Kong et Pekin.

Et la montagne dans tout ça ? C’est une passion qui rythme sa vie, mais pas seulement. Elle a aussi façonné sa pratique professionnelle. « La montagne enseigne l’importance de la compétence technique, l’humilité face aux événements et la persévérance, philosophe Matthieu Grollemund. Elle nous apprend que les choses peuvent avoir l’air extraordinairement difficiles à atteindre mais si on a la ténacité et la volonté de les accomplir, on y arrive. »

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