Laetitia Avia : avocate pour toujours
Après avoir débuté comme collaboratrice au sein du cabinet Darrois Villey Maillot Brochier, puis avoir monté son propre cabinet, Laetitia Avia a été élue, à 31 ans seulement, députée LREM. Aujourd’hui membre de la commission des lois, elle a décidé de se faire omettre du barreau pour se consacrer à ses nouvelles fonctions. Portrait.
«J’ai fait plein de choses en même temps à chaque fois », s’exclame la jeune élue lorsqu’on lui demande de récapituler son parcours professionnel. « Je vais essayer de ne rien oublier ». Après un Bac ES obtenu à Saint-Ouen, elle entre à Sciences Po Paris à la faveur d’une convention d’éducation prioritaire, l’une des premières. « Sinon, je me serais inscrite en droit, à Nanterre, je voulais faire le bi-Deug anglais allemand ».
Diplômée de Sciences Po Paris
Pendant ses deux premières années, elle entre au pôle « égalité des chances » et part à la rencontre de lycéens des quartiers dits défavorisés pour leur présenter la convention d’éducation prioritaire dont elle a elle-même bénéficié. « Pour montrer que l’on peut briser l’assignation à résidence », soutient-elle. De ces premières années au sein de Science Po, où elle enseigne aujourd’hui, elle reconnaît pudiquement que « c’était dur ». Essuyer les plâtres de la diversification des parcours au sein de la grande école n’a rien d’évident. « C’est sans doute moins le cas aujourd’hui, les processus de recrutement ont évolué », confie-t-elle. Elle le ressent de manière très aiguë lors de sa troisième année, lorsqu’elle part à Toronto, au Canada. Ses études là-bas lui apportent certes de la satisfaction intellectuelle, mais surtout, elle découvre une « société plus inclusive, où il existe une vraie égalité des chances, une véritable méritocratie ». De retour à Paris, elle n’a plus qu’une seule idée en tête : y retourner. Elle prend pourtant le temps de la réflexion et s’inscrit finalement en Master de droit économique, spécialité droit et régulation des marchés. « J’ai tout de suite adoré le droit des sociétés », s’exclame-t-elle.Formée à l'École Darrois
Jean-Michel Darrois, qui était son professeur à Sciences Po, la repère rapidement. « C’était sans doute la meilleure parmi mes élèves, qui étaient bien sûr tous excellents. Elle était déterminée, lumineuse avec une personnalité très forte ». Il lui propose alors un stage dans son cabinet, qu’elle intègre pour deux mois et demi, pensant ensuite aller faire son LLM à l’Université canadienne Mc Gill où elle vient d’être acceptée. « C’est à ce moment-là que la commission Darrois se met en place et que Jean-Michel Darrois me propose d’en être secrétaire générale. J’ai alors décalé mon LLM d’un an ». Lorsqu’on lui demande si elle n’était pas trop impressionnée par ces responsabilités qui lui sont confiées, à l’âge de 23 ans seulement, elle explique qu’au cours de sa mission, elle a fait abstraction des titres de chacun de ses interlocuteurs. « Je parlais de la même façon à un conseiller d’État et à un juriste », explique-t-elle. Et l’histoire est désormais connue, parmi les cinq rapporteurs de la commission, il y avait un certain Emmanuel Macron. La commission rend son rapport au mois d’avril 2009 et la jeune fille intègre par la suite l’Autorité des marchés financiers (AMF) pendant trois mois avant de repartir au Canada. « J’ai passé le CRFPA pendant mon année de LLM, je ne le recommande à personne, c’était une très mauvaise idée », se rappelle-telle, racontant les allers-retours en avion, la fatigue et les difficultés financières. Diplôme canadien et CRFPA en poche, elle retourne au cabinet Darrois Villey Maillot Brochier, cette fois comme collaboratrice. « Ce que je retiens d’elle c’est qu’elle a faim de projets et de challenges. Elle a toujours envie de faire mieux, de faire plus », se souvient Jean-Baptiste Aubert, qui est entré au cabinet presque en même temps qu’elle et avait déjà fait un stage à ses côtés. Il est resté son ami, même s’ils se voient moins depuis qu’elle est députée. « Elle a une belle personnalité », résume-t-il.
Tentée par l'entrepreneuriat
« En 2014, j’ai lu dans la LJA un encadré sur le cabinet Deprez Perrot, se souvient-elle. La description du cabinet me correspondait tellement que j’aurais pu écrire l’article. J’ai tout de suite pris contact avec les deux associés ». Laetitia Avia se souvient que l’envie de voler de ses propres ailes la démangeait alors qu’à cette époque, la mode était clairement à la création de boutique de niche. « On ne se connaissait ni d’Ève, ni d’Adam, se souvient Adrien Perrot. Nous nous sommes rencontrés plusieurs fois et le courant est rapidement passé ». Les trois avocats s’associent, mais peu à peu, au fur et à mesure que le cabinet grandit, le duo Laetitia Avia/Adrien Perrot devient plus autonome. « Nous formions déjà un sous-cabinet au sein duquel on travaillait tous les deux », analyse Laetitia Avia avec le recul. « Nous n’avions plus la même vision des choses et dès que les divergences sont apparues, nous avons décidé de partir ». « C’était bien de se retrouver tous les deux, on est de la même génération, on a les mêmes codes culturels. On n’a pas la même personnalité, mais on avance au même rythme, on s’entend bien », lâche Adrien Perrot. Et d’ajouter que son associée est « pleine d’énergie » et a une « belle intelligence d’analyse ».
Ce nouveau cabinet, dénommé APE avocats, démarre fort, dès sa fondation. « Nous avions un positionnement très clair, nous voulions accompagner les entreprises en amont du judiciaire. Nous utilisions davantage le contentieux comme un outil de stratégie, notamment sur les domaines de zones grises du droit. Nous avons, notamment beaucoup travaillé sur l’ «intraprenariat » (c’est-à-dire la valorisation des initiatives entrepreneuriales des salariés déjà présents au sein d’une société, ndlr) », explique la députée.
Emportée par la politique
Les deux associés se sont alors fait rattraper par la politique. Ensemble. « Au-delà de l’engagement politique, j’étais enthousiaste à l’idée de réfléchir sur des sujets qui me tenaient à coeur », dit Adrien Perrot, qui s’est même substitué à Laetitia Avia comme expert du programme justice durant la campagne présidentielle, lorsqu’elle a été appelée sur le terrain. « J’ai réussi à tout concilier jusqu’à la candidature aux élections législatives », explique-t-elle. Pourquoi alors avoir préféré l’engagement politique à une carrière prometteuse ? « Je ne sais pas si je préfère la politique. Je suis avocate et je le serai toujours », lâche-t-elle, expliquant que les choses ont ainsi tourné pour elle, et qu’il aurait été « dommage de s’arrêter là ». Elle ajoute : « Il y a un peu d’abnégation de ma part, car le cabinet fonctionnait bien et qu’en politique, je n’avais que des coups à prendre ». L’engagement et, peut-être un peu, le goût des chemins inexplorés ont donc pris le dessus. « J’étais bien où j’étais, mais nous sommes dans une séquence où l’on n’a pas droit à l’erreur. Les Français ont donné sa chance à Emmanuel Macron et il faut le soutenir. »
Et Laetitia Avia a pris plaisir à revêtir le costume de législateur. « Je suis en train de travailler au texte qui réprime ce que l’on appelle le harcèlement de rue. Nous avons à ce sujet des discussions de juristes qui sont cohérentes avec mon parcours et, il faut bien le dire, rédiger un texte qui sera un jour codifié, c’est le Graal pour un juriste ! ». Pour autant, son activité quotidienne est très différente de son métier d’avocat. « Je reste peu au bureau, je suis en mouvement constant. Dans mes fonctions d’avocate, j’étais en représentation ou en rendez-vous et je parlais beaucoup, j’étais plaideuse et négociatrice. Maintenant le temps verbal est réduit, car être législateur c’est écouter. Prendre la parole dans l’hémicycle, c’est très différent ».
Jean-Michel Darrois, sans lequel, de son propre aveu, elle ne prend aucune décision importante, ne tarit pas d’éloges sur la jeune femme. « Je suis très fier d’elle », confie-t-il, expliquant qu’il lui a fait confiance pour être secrétaire générale de la commission « parce qu’elle travaillait vite et rédigeait bien ». Le grand avocat est convaincu que son ancienne collaboratrice a toutes les qualités pour réussir, que ce soit en politique ou dans le domaine juridique. Isabelle Paquier, l’assistante de Jean-Michel Darrois, qui a aussi gardé des relations avec Laetitia Avia ajoute qu’elle est « très consciencieuse et intelligente » tout en étant toujours « gaie et joyeuse ». « C’est quelqu’un à qui l’on peut faire confiance ».
L’élue a demandé son omission du barreau. Mais garde en tête l’idée de s’y réinscrire après son mandat. « Le cabinet APE, elle l’a cofondé, elle y aura toute sa place » dit Adrien Perrot qui augure néanmoins qu’elle sera appelée à d’autres fonctions après son mandat de députée. « Ce binôme que nous avons su créer avec Laetitia, durera, je l’espère. Peut-être sous d’autres formes ».
En attendant, Laetitia Avia veut aussi faire évoluer les avocats. « Avec Adrien, nous avons toujours été très exigeants vis-à-vis de notre profession dont nous avons une vision progressiste. Une profession doit se donner les moyens d’évoluer », affirme-t-elle, déplorant une certaine forme de conservatisme chez ses anciens confrères. « On brandit parfois des principes qui ne sont pas mis en jeu. Au Canada, l’indépendance n’empêche pas les avocats de travailler dans les entreprises, ce n’est pas incompatible », remarque-t-elle. Elle estime aussi que les legaltech sont de nature à « donner l’impulsion » et attend de voir ce que donneront les applications concrètes des cinq chantiers « Justice » lancés par la Chancellerie. « Il faut simplifier les petits litiges et favoriser le traitement numérique de ces dossiers », pense-t-elle, considérant également que l’utilisation de la justice prédictive, à condition qu’elle soit réservée aux magistrats, pourrait être une bonne solution. « Il y a beaucoup de choses à faire, et la garde des Sceaux s’y connaît », rassure-t-elle. La jeune élue rappelle que des outils sont d’ores et déjà à la disposition des avocats et cite à cet égard la loi Macron qui permet aux avocats d’avoir une activité commerciale à titre accessoire et d’exercer cette activité en créant des sociétés commerciales. « Si j’étais restée avocate, j’aurais sans doute constitué une SAS, dit-elle. Il faut se saisir de toutes les extensions possibles de la pratique ». Laetitia Avia glisse que le groupe des experts justice sera bientôt relancé et travaillera de façon intégrée avec le cabinet de la garde des Sceaux. « J’en serai, évidemment, révèle-t-elle. Je pense que c’est le moment de porter une grande réforme de la Justice ».
Moments clés :
1985 : Naissance à Livry-Gargan (Seine Saint-Denis)2003 : Entre à Sciences-Po
2008 : Stage au cabinet Darrois Villey Maillot Brochier et secrétaire générale de la commission Darrois
2009 : Diplôme de l’Université Mc Gill (Montréal) et CRFPA. Devient collaboratrice du cabinet Darrois Villey Maillot Brochier.
2014 : Rejoint le cabinet DeprezPerrot (devenu Nerio Legal) avec Éric Deprez et Adrien Perrot
2016 : Cofonde le cabinet APE Avocats avec Adrien Perrot
2017 : Élue députée de la 8e circonscription de Paris. Membre de la commission des lois