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Jonathan Mattout, un ténor très discret

Le pénaliste, qui a été parmi les pionniers des contentieux liés à l’anticorruption en France, appelle à poursuivre la réflexion sur l’intégration des concepts anglo-saxons dans notre droit européen. Retour sur le parcours d’un avocat aussi humble que travailleur. 

Jonathan Mattout a un profil qui dénote dans l’univers des grandes gueules pénalistes. Son héritage familial est sans doute l’une des explications à son caractère calme et plein d’humilité. Entouré de sa famille, très présente, il grandit à Paris, dans le 13e arrondissement. Autour de lui gravitent musiciens (sa mère est pianiste et dirige une école de musique), scientifiques (son frère a choisi la voie de la recherche, bien représentée dans la famille) et des juristes (son père est ancien directeur juridique, professeur et avocat). « Les trois mamelles de la famille », sourit l’avocat, qui se souvient qu’à la maison, les points de vue étaient riches et les débats politiques nombreux. Jonathan Mattout avoue une inclination pour les sciences, mais passe son bac à Henri IV, filière économique et sociale. Il y suit notamment les cours de Pascal Combemale, professeur de sciences économiques et sociales, qui le marquent.

La faculté de droit lui semble un prolongement naturel de ce parcours et, sectorisé à l’université Paris I, il rejoint l’annexe de la rue Saint-Hippolyte, dans le quartier des Gobelins, avant d’opter pour une maîtrise mention carrières judiciaires. Sa vie d’étudiant lui plaît. Il est notamment attiré par le pénal et la défense des libertés publiques. Il se rêve en avocat international et passe l’examen d’entrée à l’EFB, qu’il réussit, mais diffère son entrée à l’école d’avocats pour s’inscrire à Paris-Dauphine, afin d’y suivre un troisième cycle de droit des affaires, avec notamment le magistrat Jean-Claude Marin, et pour partir à l’étranger.

Dans le cadre de ce premier emploi, le regretté Emmanuel Gaillard le prend sous son aile, au sein du cabinet Sherman & Sterling et l’envoie au bureau de New York dans le cadre d’un programme alors mis en place par la firme. « Je suis arrivé à New York comme simple law clerk, juste après les attentats du 11 septembre », se souvient Jonathan Mattout. Il passe un an dans l’équipe de Frederick Davis, un associé très francophile et travaille sur de grandes affaires de white collar crime à l’américaine (poursuites de la SEC et du DOJ). « J’ai découvert le droit pénal des affaires comme nous ne le connaissions pas en France, et une manière de travailler différente, au sein de larges équipes où chacun avait sa place et son rôle. L’organisation était très structurée, il existait une émulation et une énergie incroyable. La ville n’y était pas pour rien… ». Le jeune homme se voit aussi confier des dossiers pro bono sur lesquels il travaille seul et acquiert une culture dont il ne se départira jamais. Il est notamment marqué par une affaire concernant un demandeur d’asile guinéen, pour lequel il va plaider en détention. « Ce type de dossier permet d’élargir notre perspective. Il y a quelque chose de particulier dans la relation de défense face au risque d’un retour forcé dans un pays où les pires maux vous attendent », raconte-t-il.

PREMIÈRES ARMES

Le jeune homme se sent bien dans la Grosse pomme et ambitionne d’y rester pour y faire un LLM. Mais un appel vient bouleverser ses plans. Le cabinet d’Henri Leclerc, au sein duquel il avait fait un stage en maîtrise, souhaite à nouveau l’accueillir. La proposition ne se refuse pas et Jonathan Mattout rentre immédiatement à Paris. Il s’inscrit au 3e cycle de droit international humanitaire (DIH) de Paris II. Il y suit les enseignements des grands professeurs de droit international et au premier chef, ceux de Mario Bettati, le fameux théoricien du droit d’ingérence, ceux de Paul Lagarde ou encore d’Antoine Comte. Infatigable étudiant, il suit en parallèle les cours de l’Institut de criminologie, alors dirigé par Jacques- Henri Robert. Au cabinet, le jeune avocat se forme, en travaillant sur des dossiers tous plus beaux les uns que les autres et très divers. Une fois l’examen du Capa en poche, il se met à chercher une collaboration. Visant le droit pénal général ou le droit des affaires, il envoie des CV et reçoit une offre du cabinet d’Olivier Metzner. Il en parle à Henri Leclerc, qui lui propose de rester avec lui. Le choix est cornélien. Mais c’est la raison du coeur qui l’emporte, et Jonathan Mattout reste rue Cassette. Il ne le regrettera pas et passe quatre belles années dans cette ambiance « familiale et engagée », auprès d’Henri Leclerc, de Frédérique Beaulieu, de Francis Triboulet, de Nathalie Senyk et du regretté Alain Weber et, entre autres, avec la présence « bienveillante, mais exigeante » du fondateur du cabinet. Pour ses premières assises, il plaide pour un gang de braqueurs de supermarchés, s’occupe de dossiers relatifs à des scandales sanitaires comme celui de l’hépatite B, de crash aérien, de catastrophes industrielles avec le dossier AZF et encore de moeurs. Et il commence à toucher au droit pénal des affaires, avec l’émergence des premiers dossiers de blanchiment d’argent dans le cadre de marchés publics. Il intervient, notamment dans les dossiers EDF et Eurolife, passe des week-end en détention et sillonne les tribunaux correctionnels de France. C’est passionnant. Mais l’avocat a encore en lui cette idée de l’international.

CORRUPTION INTERNATIONALE

C’est à ce moment-là que les firmes d’avocats d’affaires, sentant qu’une transition s’opère, cherchent à développer leur pratique en pénal. Alors qu’auparavant, les dossiers d’infraction étaient le plus souvent sous-traités à des cabinets parisiens spécialisés, certains décident d’inclure la pratique en leur sein. Herbert Smith est l’une des premières firmes à se lancer à Paris. Denis Chemla, qui anime, en 2008, le département contentieux, avec Charles Kaplan en arbitrage, est à la recherche d’un pénaliste et propose à Jonathan Mattout de les rejoindre. La carrière de l’avocat prend alors un nouveau tournant. Il raconte : « C’était tout nouveau pour un cabinet international de faire la part belle au droit pénal des affaires. Une superbe opportunité… ». Juste après l’adoption du UK Bribery Act en 2010, la première loi qui, en Europe, soulève la question de la responsabilité des entreprises en matière de prévention, il est envoyé six mois au sein du bureau de Londres et observe comment ces dispositions s’appliquent sur le terrain. En 2011, il concrétise un projet de détachement et part, avec son épouse, à Hong Kong, où naîtra leur premier enfant. C’est l’époque des enquêtes internationales en droit des affaires, de l’application des règles en matière de lutte contre la corruption et du prononcé des premières sanctions significatives. Sur fond d’ouverture de la Birmanie, débutent des enquêtes contre la Chine, accusée de favoriser la corruption.

Jonathan Mattout travaille d’arrache-pied sur ces dossiers, tout en conservant un lien très fort avec la France. Mais lorsque Denis Chemla choisit de quitter la firme pour rejoindre Allen & Overy à la fin de l’année 2011, Jonathan Mattout est rappelé à Paris pour reconstruire le département contentieux. À Paris, c’est l’agitation dans l’univers des pénalistes d’affaires car la pratique est bouleversée par la création du parquet national financier (PNF), tandis que les parlementaires français réfléchissent à adopter les modèles vus à l’étranger en matière de conformité et d’anticorruption. Sont en train d’être discutées les prémices de ce qui deviendra la loi Sapin 2, définitivement adoptée en 2016. L’expérience en la matière de Jonathan Mattout ne passe pas inaperçue au sein des directions juridiques. Marie-Christine Coisne-Roquette, ancienne avocate et dirigeante de Sonepar entend parler de lui et l’intègre dans son équipe de conseils. Olivier Catherine, secrétaire général de Sonepar, vante sa connaissance fine des programmes de compliance. « Il est l’un des rares sur la place de Paris à avoir cette compréhension et cette approche préventive, alors que d’autres pénalistes sont dans le curatif ».

En 2019, il est l’avocat du groupe dans l’affaire qui verra se tenir la toute première audience de la commission des sanctions de l’Agence française anticorruption (AFA) après la première vague des contrôles anticorruption. « La procédure était inédite, c’était la première audience devant la commission des sanctions. Le schéma procédural était nouveau et le texte organisant la procédure peu disert », se souvient l’avocat. De ce dossier, il dira, pudiquement, que la charge de travail était intense, tout comme l’émulation intellectuelle du fait des nouvelles questions posées. Mais on devine en creux les courtes nuits et le temps passé sans voir sa famille. « Il y a eu beaucoup d’analyse, d’écritures, de préparation et d’échanges, et, à la fin, une décision heureuse », lance-t-il.

Olivier Catherine, qui a travaillé avec lui pendant ces quelque vingt mois de procédure, loue sa vision stratégique et l’attention portée aux détails, qui fait la différence. « Ce dossier a été mené d’une main de maître », considère l'un de ses clients banquier, élogieux. Tous ceux qui ont été interrogés par la rédaction durant l’enquête sur le Top 40 des avocats du CAC 40, dont il fait partie, louent sa discrétion, très appréciée et sa capacité de travail hors du commun. « Il n’est pas flamboyant, ni virulent comme certains, mais il est redoutable », estime un autre client. Jonathan Mattout est désormais au coeur du réacteur. En charge de la pratique de droit pénal des affaires et enquêtes sur la zone EMEA, il construit une équipe qu’il veut la plus ouverte possible. Il a conservé le goût pour le secteur bancaire, transmis par son père, secteur qui, en matière de prévention des risques, de lutte anti-blanchiment et de sanctions internationales, a quelques longueurs d’avance sur les autres secteurs. L’avocat n’hésite pas à constituer des équipes avec des confrères experts dans différents domaines. « La matière est mouvante, les avocats doivent pouvoir s’adapter, passer d’un versant de la pratique à une autre », considère-t-il. Jonathan Mattout tient beaucoup aux échanges et à la diversité des points de vue. « Il faut pouvoir communiquer sur les dossiers, chacun doit pouvoir faire part de sa vision ou de sa stratégie. Ensemble, c’est mieux ».

UNE RÉFLEXION À POURSUIVRE

Si les dispositions relatives au corpus anticorruption poursuivent un objectif de politique pénale essentiel, l’avocat estime cependant que les garanties des droits sont insuffisantes. « Ces différentes dispositions sont issues d’un mélange de cultures : un mariage forcé entre notre culture juridique et celle du monde anglosaxon ; une approche administrative et par la compliance d’un thème pénal où l’ombre du judiciaire plane en permanence – C’est une question d’équilibre et de poids de chaque ingrédient et le cocktail n’a pas tout à fait le goût qu’il devrait avoir… », considère celui qui a le contradictoire et les grands principes chevillés au corps. « Des ajustements sont encore à faire pour un corpus et des acteurs encore jeunes, sans quoi cela ne servira pas l’objectif », juge-t-il. Il met également en garde contre la trop prompte propension à la négociation.

Même s’il confie être intervenu dans des dossiers où des CJIP ont été conclues – il ne dira pas lesquels - il estime que cet outil peut induire, aussi bien du côté de la défense que du côté de la puissance publique, un réflexe qui peut modifier l’approche des dossiers. « Il est facile d’entrer en négociation mais plus difficile d’en sortir ; il ne faut pas perdre de vue la recherche de justice », alerte-t-il. Jonathan Mattout est viscéralement attaché aux échanges, à l’ouverture constante à la nouveauté. Il tient à communiquer avec ses homologues - il fait partie du criminal law comitee de l’International Bar Association. Il tient à transmettre son savoir - il enseigne à Paris II et à l’IEP de Paris. Chez un collaborateur, il recherche la rigueur, l’adaptabilité, la variété et le dynamisme, mais avant tout une forme de sincérité dans ses rapports avec les confrères et les clients. « Nous devons être fiers d’assister nos clients, être les personnes de confiance, celles qui aident à prévenir et surmonter les drames humains », pense-t-il. Un positionnement clair dans une matière où certains de ses confrères en compliance jouent parfois l’ambiguïté. « Certains avocats en compliance sont aussi sous-traitants de l’AFA. Jonathan est clairement dans l’accompagnement et la défense des clients », souligne Olivier Catherine. Très sollicité depuis la fin du mois de février, en raison de la mise en place des sanctions contre la Russie, il ne cache pas son inquiétude liée au contexte international. « Les liens entre les pays se distendent et cette distance c’est le ferment des dangers de demain », confie l’avocat, père de trois enfants, qui exhorte, avant tout, à préserver l’humain.

PORTRAIT CHINOIS

Un livre : « Une question de mort et de vie », d’Irvin et Marylin Yalom, un livre écrit à quatre mains sur le départ de l’être aimé, lorsque la maladie, puis la mort sépare un couple.

Un film : « Rabbi Jacob », qu’il regarde régulièrement avec ses enfants.

Une musique : « Il y en a plusieurs : l’étude Opus 12, n° 8 d’Alexandre Scriabin, jouée par ma mère ; le concerto pour violoncelle ’Elgar et la Chacone, partita n° 2, de Bach. Et aussi, en jazz, « I love you Porgy », issu de l’opéra de Gerschwin ».

Un sport : Les randonnées à vélo en famille

Un chef d’oeuvre : « Le Cri », d’Edvard Munch

Droit pénal