Isabelle Cheradame, l’international au cœur
Elle vient de prendre la tête du cabinet Scotto Partners. Objectif : construire un cabinet où il fait bon vivre et partir à la conquête de l’international.
Enfant, Isabelle Cheradame s’imaginait travaillant dans un tribunal. La justice l’attirait. Pourtant rien ne l’y prédisposait, elle n’appartient pas à une famille de juristes. Ce que ses parents lui ont transmis en revanche, c’est une attirance profonde pour l’international. Elle parle allemand, anglais et espagnol couramment et ajoute à cela des notions d’italien, de russe, de portugais, acquises au gré des besoins. « Ma mère est allemande et mon père français, j’ai vécu dans les Yvelines puis à Düsseldorf, où j’ai passé mon bac. Ma langue maternelle est le français ; c’est en allant habiter en Allemagne que j’ai appris l’allemand. » Bien qu’ayant la double nationalité, Isabelle Cheradame se sent plus proche de la culture française. Une fois son bac en poche, elle rentre donc en France faire ses études de droit à la faculté de Sceaux. Son choix se porte sur un programme comprenant une formation en droit des affaires doublée d’un enseignement de traduction juridique très poussé en allemand et en anglais. « Pour un juriste le sens d’un mot est fondamental, savoir traduire est une question clef. Je suis repartie en Allemagne après la licence puis j’ai suivi un LLM à Londres », confie-t-elle. En principe, quand on choisit le droit, qu’on a le don des langues et une forte attirance pour l’étranger, la première destination à laquelle on pense est New York. « Cela ne me faisait pas rêver », répond-elle simplement. En 1999, Isabelle Cheradame rentre en France et poursuit sur sa lancée internationale en intégrant Ashurst. C’est là qu’elle découvre le private equity, elle accroche tout de suite et se spécialise. « Ce qui m’intéresse dans cette matière, c’est de faire converger des cultures différentes pour permettre à des gens de partir sur un projet commun. J’aime conseiller, négocier, communiquer. »
Private equity
En juillet 2005, elle décide de rejoindre Lionel Scotto qui a créé en 1997 avec Serge Wilinski, spécialisé en droit du travail, le cabinet Wilinski Scotto et Associés. Lionel Scotto pratique le private equity sous un angle qui la séduit. « Le positionnement consiste à être exclusivement aux côtés des dirigeants en mettant l’accent sur l’humain dans un souci d’accompagner et de conseiller. Nos clients sont des experts de leur secteur d’activité, mais dans une opération de private equity, ils se retrouvent brutalement projetés dans un monde financier très complexe qui leur est totalement étranger, explique-t-elle. Ils ont alors besoin d’être guidés. Il y a une dimension psychologique forte et un vrai besoin de communication qui viennent s’ajouter à la technicité des questions juridiques. » Tous les avocats de l’époque viennent de cabinets anglo-saxons très normés, développer un cabinet français constitue un sacré défi dans cet univers. « Aujourd’hui on continue de travailler aux côtés des Anglo-Saxons et à faire figure d’exception en tant que boutique française », confie-t-elle non sans une certaine fierté. Trois ans plus tard, la voici associée du cabinet. En 2010, Serge Wilinski et une partie de l’équipe quittent la structure. C’est un bouleversement, mais aussi l’occasion de repenser le positionnement du cabinet. Les associés dessinent un nouveau profil recentré sur les personnes physiques dans le monde des affaires et le private equity. « Lionel Scotto, Claire Revol-Renié et moi-même rencontrons Nicolas Menard-Durand, également spécialiste de private equity, qui décide de nous rejoindre. On est repartis dans une nouvelle aventure recentrée sur le conseil de dirigeants et des entreprises familiales. Thomas Bourdeaut en M & A et Jérôme Commerçon en fiscal sont venus ensuite enrichir les compétences du cabinet », se souvient Isabelle Cheradame.
Être à l’écoute
Nous voici en 2019. Le cabinet a décidé d’entrer dans une nouvelle ère et désigné Isabelle Cheradame pour conduire les opérations en la nommant managing partner. « Nous sommes leader sur notre marché, mais il n’est pas question de nous reposer sur nos lauriers. Nous devons regarder l’avenir et penser notre développement », analyse l’intéressée. Parmi les trois axes de prospective identifiés figure une nécessaire réflexion sur le sens du métier et la manière de concilier vie professionnelle et épanouissement personnel. Jusqu’ici le cabinet ne s’est jamais posé trop de questions sur son organisation, à tort sans doute, cela a pu expliquer certaines tensions. Le défi posé à Isabelle Cheradame consiste à insuffler un changement culturel dans la structure. « On ne m’a jamais demandé quand j’ai commencé si je me sentais bien, et à mes associés non plus, mais c’était aussi une époque où l’association était plus facile, admet-elle. Aujourd’hui la nouvelle génération attend de nous qu’on la forme et qu’on lui propose un projet qui ait du sens. C’est une vraie mutation culturelle, en même temps qu’une question économique. Si l’on n’est pas en mesure de concilier vie professionnelle et épanouissement personnel, on perd les collaborateurs. Tous les cabinets, quelle que soit leur taille sont confrontés au même défi. » Accompagnée par Virginie Jubault, de l’agence Avocom, Isabelle Cheradame, qui travaillait déjà depuis deux ans sur la communication externe, a commandé une étude sur la situation des collaborateurs pour les écouter, réfléchir à la manière de les autonomiser, comprendre leurs besoins de formation, améliorer leur encadrement. « Nous exerçons un métier très exigeant qui nécessite de la technique et de la force de caractère et pousse donc d’une certaine manière à l’individualisme. Mais nous avons aussi besoin d’évoluer au quotidien dans un environnement qui nous apporte quelque chose. D’où la nécessité de communiquer en interne, d’être à l’écoute les uns des autres et d’apporter du liant », explique-t-elle. Elle a aussi décidé d’instiller une culture d’entreprise, faire en sorte que ce ne soit pas seulement aux collaborateurs de s’intégrer mais au cabinet aussi de savoir de quoi ils ont besoin. Une attention nouvelle est accordée au management. En clair, suspendre un instant la course permanente pour penser ce que l’on fait, comment on le fait et en quoi cela contribue à l’enrichissement personnel de chacun. « Cela correspond à mes valeurs, je suis à l’écoute, l’humain compte beaucoup pour moi, c’est ce qui me motive, confie la managing partner. Je suis persuadée que les gens restent dans un cabinet non pas uniquement en raison de son excellence, mais aussi parce qu’ils se sentent bien. Seulement, on a parfois tendance à l’oublier dans l’urgence des dossiers à traiter. » Il ne s’agit pas seulement de réflexions théoriques. Le cabinet compte six associés et une vingtaine de collaborateurs parmi lesquels deux vont être promus associés à la fin de l’année.
Développement international
Le deuxième défi que doit relever la nouvelle managing partner du cabinet la passionne tout autant que l’humain, c’est… l’international. Pour l’heure, le cabinet a des correspondants dans différents pays pour accompagner ses clients à l’étranger. Mais ce n’est pas un réseau fermé, à chaque fois l’objectif est de trouver le meilleur spécialiste dans le pays concerné par une opération. L’internationalisation dont il est ici question consiste pour le cabinet Scotto à étendre son savoir-faire au-delà des frontières. « Nous disposons d’une expertise en France sur un marché très mature qui n’existe quasiment pas ailleurs en Europe. Nous voulons nous étendre en Allemagne, en Italie et en Espagne. Magda Picchetto est italienne, elle nous a rejoints il y a deux ans pour développer notre expertise en Italie. De mon côté, je vais développer notre pratique en Allemagne, éventuellement avec quelqu’un qui pourra m’épauler dans cette mission. » L’idée est d’utiliser l’expertise acquise en 20 ans pour conduire des opérations dans d’autres pays de l’Union. « Les dirigeants ont besoin d’avoir des avocats qui sont dans l’action comme eux et qui leur apportent des solutions. C’est bien d’être capable de leur pointer les risques d’une opération, mais à la fin ils demandent toujours la même chose : “Je veux réaliser cette opération, vous avez identifié les risques, maintenant trouvez une solution”. C’est ça qu’on sait faire et qu’on veut exporter où cela n’existe pas. Travailler avec des avocats locaux qui sont très bons mais n’ont pas l’habitude de cette problématique de dirigeants entraînerait une déperdition ». Enfin, le dernier sujet concerne l’innovation. Ici l’objectif est double : identifier ce qui peut être automatisé dans les dossiers et trouver les outils susceptibles de prendre en charge ces tâches pour se concentrer sur la plus-value à offrir au client d’une part et rendre le travail des collaborateurs plus intéressant d’autre part.
Arpenter les montagnes en Écosse
Reste-t-il au milieu de tous ces chantiers un peu de temps pour la vie privée ? Isabelle Cheradame passe beaucoup de temps dans les avions. Non seulement pare que le travail l’appelle souvent en Allemagne, mais aussi parce que son conjoint, chef d’entreprise, habite en Écosse où elle le rejoint tous les week-ends. « Bouger en permanence m’enrichit énormément. Certes, cela occasionne quelques pertes de temps, mais les outils dont nous disposons aujourd’hui nous permettent de travailler n’importe où, explique-t-elle. On a perdu le réflexe d’organiser des réunions physiques, beaucoup de choses se passent par téléphone et par mail. Du moment que le client peut nous joindre, peu lui importe qu’on soit dans un bureau à Paris ou sur un tarmac en Allemagne. » Comme beaucoup de femmes avocates, elle s’investit dans une démarche féministe. Elle est ainsi membre de Vox femina, un réseau qui se fixe comme objectif d’améliorer la visibilité des femmes dans les médias en constituant des répertoires d’experts féminins. « Les femmes ne savent pas assez se mettre en avant. Si elles ne sont pas à 150 % compétentes elles ne veulent pas parler. C’est important que les choses évoluent. » Des hobbies ? « J’adore la musique, lorsque j’étais étudiante, j’ai découvert l’opéra à Francfort, plus tard à Londres j’entraînais mes camarades au covent garden. Mais j’ai de moins en moins le temps, cette année je n’ai pas pris d’abonnement. De même, je chantais dans une chorale et j’ai dû arrêter pour le moment. » Il lui reste les longues promenades à pied dans les montagnes en Écosse pour faire le vide et se ressourcer.