Helen Browne : Know she can
Passionnée, la directrice juridique groupe d’Axa a la conviction que le droit peut apaiser les conflits. Elle valorise l’expérience et la diversité et estime que le juriste doit concilier sa mission de protection des intérêts de l’entreprise avec celle de stratège.
Comme en témoigne sa flamboyante chevelure rousse, qui dénote dans les locaux tout en transparence du groupe Axa, provisoirement localisés à La Défense, Helen Browne a vu le jour dans la verte Irlande, alors ravagée par la guerre civile. Son attirance pour la matière juridique vient de là : elle pense que le droit et la loi constituent une solution non-violente pour régler les conflits. D’une nature assez décidée, elle part étudier le droit à l’université de Canterbury et intègre ensuite l’université de Grenoble. Elle en sort avec de solides connaissances en droit civil. « J’ai aussi beaucoup progressé en ski ! », sourit-elle. De retour en Grande-Bretagne, elle devient solicitor et intègre le cabinet Linklaters à Londres, qui l’envoie à Bruxelles, puis à Paris où elle intègre le barreau. Au moment de la crise, elle travaille au sein du département marché de capitaux. En suite de la vague de privatisations qui a lieu en France, en 1981, Helen Browne est happée par le droit boursier et se retrouve rapidement propulsée comme spécialiste des opérations d’introduction en Bourse. Le rythme est très soutenu et la jeune femme a quelques regrets. « J’avais le sentiment d’abandonner mes clients au moment le plus intéressant pour eux, lorsque l’entreprise entrait en Bourse et que tout commençait », se souvient-elle. En cabinet, elle a l’impression de vivre en vase clos et ce manque d’ouverture lui pèse. Lorsqu’on lui propose l’association, elle refuse, préférant raccrocher la robe pour aller voguer vers d’autres horizons, encore incertains. À la recherche de ce qui la fait vibrer professionnellement, elle sera notamment l’assistante d’un grand couturier, puis aidera un notaire parisien à développer sa clientèle à l’international. Elle n’en dira pas davantage sur cette période de sa vie qui lui a ouvert l’esprit. En 2001, elle est approchée par le groupe Axa, intéressé par son profil international.
La jeune entreprise fondée par Claude Bébéar lui paraît être l’une des plus dynamiques du CAC 40 et c’est justement cette énergie qui l’attire. « J’y suis depuis plus de 20 ans, convaincue par la diversité intellectuelle et les qualités humaines que j’y ai trouvées », explique-t-elle aujourd’hui. À son arrivée, elle prend la responsabilité du pôle de droit financier et traite des augmentations de capital, puis gravit peu à peu les échelons, devenant responsable des fusions-acquisitions au sein du pôle juridique. Elle se souvient notamment de l’achat de Winterthur, en Suisse en 2006, d’importantes opérations de M&A et en particulier de deals conséquents en Australie et aux États-Unis. En 2014, elle devient directrice juridique adjointe et en 2016, elle prend la tête de la direction juridique du groupe au moment de la nomination du nouveau directeur général Thomas Buberl. « Je ne fais plus du tout le même métier qu’au début », estime Helen Browne. Aujourd’hui, elle a une véritable mission d’accompagnement du management dans les prises de décision les plus stratégiques et les plus importantes : « Je suis initialement sollicitée sur un sujet technique, mais très rapidement, il faut aller au-delà, appréhender l’environnement et prendre une certaine hauteur de vue, ce qui n’est pas possible lorsque l’on exerce en cabinet ». Et cet exercice porte sur des sujets très divers, à haut niveau de sophistication, souvent à dimension internationale, l’assureur opérant dans plus de 50 pays. « Dans la même journée, je peux traiter d’une acquisition en Belgique, puis d’un hacking cyber dans un pays d’Asie », souligne- t-elle. Et c’est justement ce qui lui plaît. « Chaque journée est différente de la précédente, avec des sujets et des interlocuteurs divers. C’est cette variété qui est passionnante », s’enthousiasme-t-elle.
DE LA RESPONSABILITÉ DU DÉPARTEMENT JURIDIQUE
Pour composer son équipe, Helen Browne s’attache à illustrer la culture et les valeurs du groupe, auxquelles elle adhère sans réserve : diversité intellectuelle et culturelle, internationalité, complémentarité. Au siège, le service juridique est composé de 28 personnes, de 7 nationalités différentes. Plus de la moitié (60 %) des postes de manager sont occupées par des femmes et l’équipe inclut 12 % de personnes issues des minorités. Helen Browne y tient particulièrement, convaincue de ce que le service juridique a le devoir d’être exemplaire sur ces questions. Pour autant, elle assure que cette inclusion s’est faite naturellement. Au sein de l’équipe de leadership, les 15 directeurs juridiques des pays les plus importants du groupe chapeautent quelque 500 juristes. « Lorsque j’ai débuté, il y avait trois femmes et on compte aujourd’hui sept femmes pour neuf hommes. Cette évolution reflète la politique très volontariste, constante et ancienne du groupe. Nous atteindrons la parité en 2023 », précise Helen Browne qui tient beaucoup aux questions d’égalité de genre. Elle se souvient de l’émoi qu’elle avait provoqué à l’époque, dans son cabinet, lorsqu’elle avait eu l’audace de casser le strict dress code londonien et de venir en pantalon au sein du bureau parisien. « J’avais fini par obtenir l’accord des associés londoniens, justement parce que j’étais basée à Paris ! », raconte-t-elle. Mère d’un garçon et d’une fille encore adolescente, elle est d’ailleurs ravie que ses enfants grandissent sans se poser la question de l’égalité homme-femme. « Mon premier boss, à Londres, associé de Linklaters, m’avait un jour dit cette phrase qui m’a beaucoup marquée et est restée gravée dans ma mémoire : "Je ne suis pas plus intelligent que vous, mais j’ai plus d’expérience" » se remémore Helen Browne. Cette dernière croit à l’empirisme et c’est pourquoi elle pousse son équipe à multiplier les expériences, quitte à faire sortir les personnes de leur domaine de compétence. Elle s’efforce de donner l’exemple et de rendre ses collaborateurs autonomes : « Il est préférable de savoir créer la confiance que d’être un spécialiste très pointu », poursuit-elle. Très attentive à l’intelligence émotionnelle, elle pousse les membres de son équipe à s’essayer à de nouvelles choses, à explorer de nouveaux secteurs. Elle estime que le moteur de la progression n’est pas tant la confiance en soi que la confiance que les autres placent en vous. Il est donc important, au sein d’une équipe, de se sentir entouré et épaulé. Convaincue par le mentoring, elle affirme que ces programmes sont profitables pour tous. Pour étoffer son équipe, lorsqu’elle repère une recrue potentielle, qui a toutes les qualités requises, elle peut aller jusqu’à créer, pour cette personne, un poste provisoire. L’objectif étant de l’intégrer immédiatement jusqu’à ce que le poste définitif s’ouvre enfin, pour que ce talent ne lui échappe pas. « Ce que je recherche avant tout, c’est un certain type de personnalité, ce que j’appelle un bijou », livre-t-elle. S’agissant des prestataires extérieurs, Helen Browne tient à s’entourer des meilleurs avocats de la place, même si elle ne donnera pas leurs noms. « Nous recherchons l’excellence dans la nouvelle génération d’avocats ». Mais, en dépit de notre insistance, elle se limitera à dire qu’elle attend de ses avocats : beaucoup d’agilité, de concision et de rapidité. « Je ne veux pas un mémo de 20 pages, je veux qu’ils m’apportent leur expérience, leur proposition avec leur propre vision du problème », indique-t-elle très simplement.
UN ATOUT POUR LE GROUPE
Helen Browne s’est toujours considérée comme un business partner au sein du groupe Axa. « La direction juridique a toujours été bien positionnée et proche de la direction », explique-t-elle, tout en reconnaissant toutefois que ce n’était pas le cas dans toutes les sociétés du CAC 40. Mais l’actuel directeur général adjoint et ancien directeur juridique, George Stansfield, ainsi que Henri de Castries et son adjoint Denis Duverne, qui avaient un tropisme juridique, ont tenu à ce que la direction juridique siège au sein du comité de direction. Depuis un an, Helen Browne est en outre élue et siège au sein du comité d’administration en tant qu’administratrice représentant les salariés du groupe. « Je travaille aux côtés d’Helen depuis plus de 20 ans, témoigne George Stansfield. Elle est une personne talentueuse avec une personnalité percutante, ne laissant personne indifférent. Elle a, durant sa carrière, occupé des postes stratégiques qui lui ont permis d’acquérir un niveau d’expérience, d’expertise et d’excellence rares, faisant d’elle un véritable atout pour Axa. Helen a en quelques années établi un département juridique solide et a fortement renforcé la diversité des profils de ses métiers. Je suis heureux de la voir aujourd’hui occuper un siège au comité de direction du groupe Axa et aussi de représenter les salariés actionnaires auprès du conseil d’administration. » L’intéressée explique : « Le groupe a pris conscience assez tôt du rôle moteur du juridique dans sa stratégie globale et de l’importance de la conformité et de la prise en compte les différents intérêts des parties prenantes ». Pour Helen Browne, le directeur juridique a une mission de protection de l’entreprise extrêmement large. « C’est aussi son métier de protéger la réputation de l’entreprise et de sa marque ». Elle considère comme une chance de travailler avec une direction générale très agile et très peu hiérarchisée. « L’équipe juridique est systématiquement sollicitée pour toutes les réunions sensibles », ajoute-t-elle. Pas question de jalousies mal placées entre services du groupe, où l’on privilégie une réelle collaboration dans l’intérêt commun bien compris. Helen Browne a vu les relations avec ses pairs évoluer. Elle se souvient que, naguère, les directeurs juridiques du secteur de la banque et de l’assurance avaient une façon de penser commune et singulière qui s’est depuis, diffusée dans d’autres secteurs. « La France a rattrapé son retard sur les pays anglo-saxons, notamment avec le développement du risk management et de la conformité », considère-t-elle. Désormais, la quasi-totalité des autres secteurs de l’économie prennent en compte cette dimension stratégique du juridique. Quant au legal privilege, elle déplore que désormais, dans les pays anglo-saxons, il ait tendance à devenir de plus en plus fragile lorsqu’il est question de négocier avec les autorités. Elle regrette également que la confidentialité des correspondances émanant du juriste, ou adressées à lui, ne soit pas protégée. « Cela relève pourtant des droits de la défense », rappelle-t-elle avec toute la conviction qui caractérise cette grande femme.